Depuis la fin du cessez-le-feu, voilà un an, les combattants du Front Polisario ont repris la lutte armée. Ils exigent que la communauté internationale fasse prévaloir leur droit à l’autodétermination sur les terres occupées depuis 1975 par le Maroc.
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— Ali BRAHIM. R (@RoubiouAli) October 22, 2021
L’obscurité, déjà, étreint la vaste étendue désertique ; à l’horizon, les ombres clairsemées de quelques acacias se découpent dans les dernières lueurs du soleil couchant. Le convoi des véhicules tout-terrain commence à s’étirer : les conducteurs prennent garde à laisser à bonne distance leurs prédécesseurs. Passé la frontière qui sépare l’Algérie des territoires libérés du Sahara occidental, ils roulent tous feux éteints, se signalent de temps à autre par d’éphémères appels de phares.
Après une heure de trajet sur des pistes cahoteuses, un bivouac émerge dans le pâle clair de lune. Une tente, deux discrets braseros, les silhouettes de combattants en treillis. Le mur de sable érigé par l’État marocain pour couper les territoires libres de ceux qu’il occupe illégalement depuis la Marche verte du tyran Hassan II, en 1975, se situe à une dizaine de kilomètres de là.
Dans ce secteur des quatre frontières, une étroite bande de terre aux confins du Sahara occidental, de l’Algérie, du Maroc et de la Mauritanie, le Front Polisario a repris sa guérilla, depuis que le cessez-le-feu a volé en éclats, le 13 novembre 2020, à Guerguerat. Là, dans une zone tampon démilitarisée placée, aux portes de la Mauritanie, sous la responsabilité des casques bleus de la Minurso, les troupes marocaines s’étaient déployées pour chasser des civils sahraouis bloquant une route illégalement construite par Rabat par laquelle transitent, vers la Mauritanie, les ressources agricoles et halieutiques exploitées dans les territoires occupés de l’ex-colonie espagnole. De quoi mettre le feu aux poudres dans un contexte de tensions accumulées.
Une stratégie de harcèlement
Assis en tailleur sur une natte, un soldat sahraoui souffle sur des braises. Autour du thé, rituel quotidien, les combattants, des trentenaires pour la plupart, tous volontaires, racontent une guerre qui ne dit pas son nom, un conflit qui s’ensable depuis les accords et le cessez-le-feu de 1991, loin des projecteurs médiatiques. « Le référendum d’autodétermination prévu par les résolutions de l’ONU n’a jamais eu lieu. Nos droits n’ont jamais été respectés et les violations répétées du pouvoir marocain n’ont jamais été condamnées ni sanctionnées. La communauté internationale n’a jamais rempli ses engagements, elle nous balade depuis trente ans : c’est le jeu des puissances qui font leurs lois au détriment des peuples, résume Sidati, kalachnikov en bandoulière, barbe de quelques jours et chèche noir enroulé en turban sur le crâne. Nous aspirons à la paix, mais nous sommes contraints à la guerre pour récupérer nos droits. »
Dans la quiétude de cette nuit étoilée, il est interrompu par le grondement des roquettes Grad que tirent ses camarades tout près du mur. Après une seconde salve, la réplique de l’armée marocaine est immédiate. Le grésillement d’un récepteur radio mobile couvre un temps la conversation ; le sifflement des munitions réjouit les combattants. « Depuis la rupture du cessez-le-feu, c’est une nouvelle naissance politique. Nous sommes heureux de reprendre le combat, nous sommes portés par l’espoir de conquérir un jour notre indépendance, explique Mahmoud, né dans le camp de réfugiés de Smara, dans l’inhospitalière hamada de Tindouf, en territoire algérien. C’est un engagement que nous avons pris, nous continuerons ainsi jusqu’à la libération de notre patrie, jusqu’à ce que nos familles retournent enfin sur leurs terres. »
Dans cette confrontation asymétrique, le Front Polisario opte pour une stratégie de harcèlement, avec de petites unités très mobiles, aux mouvements insaisissables. Le pouvoir marocain, de son côté, tire parti de l’officialisation de son alliance avec Israël, en contrepartie de la reconnaissance par Donald Trump, peu avant son départ de la Maison-Blanche, de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, au mépris du droit international. En 2020, l’armée de l’air marocaine s’est équipée de drones israéliens Heron et les deux pays développent une filière de fabrication de drones kamikazes israéliens au Maroc.
Des frappes de drones de combat
Ces armes ont déjà infligé des pertes humaines et matérielles à l’armée sahraouie. « Nous avons repéré des drones pour la première fois en janvier. Au début, il s’agissait de survols de surveillance irréguliers. Leurs sorties sont désormais fréquentes aux abords du mur et nous avons enregistré des frappes de la part de drones de combat, avec des blessés et même des morts, des véhicules pris pour cible », témoigne le commandant de la sixième région militaire, Abba Ali Hamoudi, sans s’étendre sur le bilan de ces bombardements. L’entrée en scène de ces engins pose un sérieux défi aux combattants sahraouis, qui jurent pourtant pouvoir s’y adapter. « Notre tactique est la même depuis toujours, et les drones n’y changent rien : nous menons une guerre de guérilla, nous choisissons le lieu et l’heure des attaques, nous sommes partout et nulle part à la fois. L’important pour nous, c’est que l’ennemi ne puisse jamais avoir un jour de repos dans les territoires qu’il occupe, colonise et pille illégalement. Nous avons les moyens de nous défendre », poursuit le vieil officier, qui a rejoint les rangs du Front Polisario dès 1975, à l’âge de 18 ans.
Dans la nuit glaciale, des sentinelles veillent encore quand les soldats s’endorment à la belle étoile. Aux premiers rayons du jour, le campement reprend vie ; les combattants s’affairent autour de pick-up qui prennent bientôt la route d’un front mouvant. En route, d’autres unités s’agrègent, avec des lance-roquettes montés sur des véhicules militaires antédiluviens, leur tôle verte barbouillée de terre. À l’arrière, les combattants scrutent le ciel, guettant les éventuels reflets d’un drone ou d’un avion marocain.
Blocage diplomatique
À quelques encablures du pas de tir installé dans la zone de Rouss Cheidhmia, dans le secteur de Mahbes, depuis les hauteurs d’une dune semée de pierres noires, on aperçoit la ligne blanche du mur de séparation et, bientôt, dans le vacarme des tirs croisés, les panaches de fumée qui s’élèvent des impacts des bombardements. Pour échapper aux répliques marocaines, les soldats du Polisario ont disposé dans le secteur de fausses cibles. Impossible d’évaluer les dégâts enregistrés dans chaque camp. Du côté de l’armée marocaine, depuis la reprise des hostilités, on assure que de « violents bombardements ont détruit toutes les positions ennemies à l’est du mur de sécurité et les zones de stocks d’armes » et qu’aucune « victime ou perte matérielle n’a été signalée dans les rangs des Forces armées royales ». Les combattants sahraouis affirment au contraire que des écoutes radio près du mur leur confirment les dommages causés par leurs attaques au camp adverse, sans plus de précisions.
Aucune trace, dans cette zone, de la force onusienne chargée de préparer un référendum d’autodétermination qui n’a jamais eu lieu et de veiller au respect d’un cessez-le-feu qui n’existe plus. Ce 27 octobre, le Conseil de sécurité de l’ONU est censé renouveler le mandat de cette mission devenue, aux yeux des 170 000 réfugiés sahraouis des camps, le symbole d’un insupportable statu quo. La situation diplomatique est bloquée : l’appui de Paris à Rabat n’a pas peu contribué à l’effilochage du processus de paix de 1991 et à l’enterrement d’un référendum d’autodétermination pour lequel les listes électorales sont pourtant prêtes, mais dont la monarchie marocaine, avocate d’un brumeux « plan d’autonomie », n’a jamais voulu.
Dans un tel contexte, les déflagrations le long du mur sont autant de cris poussés du fond du désert. « La guerre n’a jamais été un but du peuple sahraoui. Historiquement, elle nous a été imposée par l’invasion de 1975 et l’occupation illégale de notre territoire national, fait valoir le président de la République arabe sahraouie démocratique, Brahim Ghali. Nous la conduisons aujourd’hui dans un cadre d’autodéfense, comme mouvement de libération qui défend le droit de son peuple à jouir de ses droits et de sa souveraineté. Nous affrontons dans l’indifférence le colonialisme d’un régime marocain expansionniste et agressif. Il n’y a pas de contradiction entre la lutte armée et la recherche d’une solution négociée sous l’égide de la communauté internati onale. » Au fil d’une frontière aux allures de poudrière, le dernier conflit de décolonisation sur le sol africain fait peser de lourds périls sur la paix dans la région.
Origen: Sahara occidental. Au pied du mur de sable, un cri de liberté dans le fracas des armes | L’Humanité
Naâma Asfari prisonnier politique sahraoui: « Je lutte pour ma liberté et pour celle de mon ennemi » | L’Humanité
«Avec les combattants de la liberté» à la Une du quotidien français l’#Humanité 22 octobre 2021 suite au voyage de la Jounaliste @Rosamoussaoui sur le front au #Sahara_occidental . pic.twitter.com/VspqaOeY5P — Amb. Oubi Bachir (@oubibachir) October 21, 2021 Depuis sa geôle de Kenitra, où il purge une peine de trente ans de prison prononcée en 2017 au terme d’une parodie…