Décolonialisme sélectif et relativisme juridique : retour critique sur la position exprimée par Rima Hassan à propos du Sahara occidental – Par Salim Djellab, Centre d’Analyse du Sahara Occidental (CASO)

Décolonialisme sélectif et relativisme juridique : retour critique sur la position exprimée par Rima Hassan à propos du Sahara occidental – Par Salim Djellab, Centre d’Analyse du Sahara Occidental (CASO)

Le présent document propose une analyse critique du discours récemment tenu par Mme Rima Hassan, juriste en droit international et militante identifiée aux courants décoloniaux, au sujet du conflit au Sahara occidental. À travers une publication sur les réseaux sociaux, Mme Hassan a adopté une grille de lecture qui reprend, sans distance critique ni fondement juridique, les éléments du narratif officiel du Royaume du Maroc. En évacuant le cadre juridique international, en invisibilisant le peuple sahraoui et en substituant à la logique de décolonisation une approche géopolitique centrée sur les États, ce discours soulève des préoccupations majeures sur les effets politiques de ce que l’on peut qualifier de décolonialisme à géométrie variable.

I. Une juriste en droit international qui omet… le droit international

Mme Rima Hassan n’ignore ni le droit international applicable à la question du Sahara occidental, ni les jurisprudences récentes qui en confirment les contours. Pourtant, son analyse se distingue par l’absence totale de références aux textes et décisions suivants :

L’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ, 1975), qui a conclu que le Maroc ne possède aucun lien de souveraineté territoriale sur le Sahara occidental ;

Les résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU qualifiant systématiquement le Sahara occidental de territoire non autonome relevant du droit à l’autodétermination des peuples (rés. 1514, 2625, 74/95, etc.) ;

La reconnaissance du Front Polisario par l’ONU comme représentant du peuple sahraoui ;

L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 4 octobre 2024, affaires C-778/21 P et C-798/21 P, qui établit que le Royaume du Maroc ne dispose d’aucune souveraineté ni mandat de représentation sur le territoire sahraoui et que les accords UE-Maroc incluant ce territoire sont illégaux, faute de consentement du peuple concerné.

L’omission systématique de ces fondements juridiques ne relève ni de l’ignorance, ni de la maladresse : elle constitue un choix discursif qui déplace le débat du terrain du droit à celui du récit politique, en contradiction directe avec les engagements déontologiques d’une juriste en droit international.

II. Effacement de la subjectivité sahraouie au profit d’une lecture interétatique

Le cadrage retenu, un prétendu « conflit entre l’Algérie et le Maroc » repose sur un postulat problématique : il évacue l’existence politique du peuple sahraoui, réduit au statut d’enjeu secondaire ou d’obstacle à une hypothétique union maghrébine. Or, la nature du conflit, telle que définie par l’ONU, est une occupation militaire d’un territoire non autonome. Ce glissement discursif, fréquent dans la propagande officielle marocaine, est d’autant plus préoccupant qu’il est ici repris par une militante se revendiquant des luttes anticoloniales. Il contribue à naturaliser la colonisation et à renvoyer dos à dos deux États, au lieu de reconnaître un rapport d’oppression entre une puissance occupante et un peuple privé de ses droits fondamentaux.

III. Révisionnisme historique : la «marche verte» et l’effacement des violences d’État

Mme Hassan décrit la « marche verte » comme une mobilisation populaire, sans mentionner son instrumentalisation par le pouvoir monarchique, ni les opérations militaires simultanées menées par l’armée marocaine à l’encontre des civils sahraouis. Or, plusieurs enquêtes et rapports (notamment ceux d’Amnesty International) ont documenté :

  • – L’usage d’armes chimiques (napalm, phosphore blanc) contre des populations civiles en exode (Um Dreiga, Tifariti…) ;
  • – L’installation forcée de centaines de milliers de colons marocains sur le territoire ;
  • – L’exode massif vers les camps de réfugiés de Tindouf.
  • – La présentation d’un épisode de violence coloniale comme un événement pacifique relève d’un révisionnisme historique incompatible avec toute éthique militante sérieuse.

IV. Absence d’analyse sur la militarisation du territoire et la répression

L’analyse proposée par Mme Hassan ne fait aucune mention :

  • – du mur militaire marocain de plus de 2700 km, le plus long au monde après la Muraille de Chine ;
  • – des 10 millions de mines antipersonnel, fournies en partie par la France et Israël ;
  • – de la reprise du conflit armé en novembre 2020 après la rupture du cessez-le-feu ;
  • – de la présence de prisonniers politiques sahraouis, notamment les détenus du groupe de Gdeim Izik, dont plusieurs sont victimes de torture, selon les Nations unies.

Cet angle mort est particulièrement problématique. Il contribue à la banalisation d’un système répressif colonial et à l’invisibilisation de violations graves et continues des droits humains.

V. L’exploitation économique comme outil de blanchiment colonial

La valorisation des « investissements » marocains dans les territoires sahraouis occupés relève d’une erreur de cadrage majeure. Elle occulte le fait que :

  • les universités publiques sont absentes du territoire occupé ; les services publics sont majoritairement destinés aux colons et non à la population sahraouie autochtone ;
  • les projets d’énergies renouvelables (éolien, solaire) sont contrôlés par des entreprises étrangères notamment françaises, espagnoles et israéliennes sans consentement sahraoui, en violation du droit international ;
  • la CJUE a expressément qualifié ces accords de non applicables au Sahara occidental sans consentement explicite du peuple.

L’usage du développement économique comme argument de légitimation d’une occupation coloniale constitue une approche néocoloniale dénoncée par de nombreux juristes et institutions.

VI. Silence sur les alliances militaires Israël-Maroc : un déni volontaire

Le post de Mme Hassan évoque brièvement Israël, sans établir aucun lien entre l’État hébreu et l’occupation du Sahara occidental, alors même que :

  • Le Maroc et Israël ont signé plusieurs accords militaires, dans le cadre des accords d’Abraham ;
  • L’armée israélienne fournit des drones et du matériel de surveillance utilisés contre les populations sahraouies ;
  • Des coopérations en matière de renseignement visent explicitement les militants sahraouis et les réfugiés. Cette omission est lourde de sens : elle permet à Mme Hassan de dénoncer le sionisme en Palestine tout en validant son prolongement géostratégique au Sahara occidental.

VII. Une position dictée par des équilibres partisans ?

Au-delà de l’analyse juridique et historique, il convient d’interroger les raisons de cette position.

Il est notoire que le sujet du Sahara occidental crée des tensions internes dans certains partis de gauche en France, notamment La France insoumise, où coexistent plusieurs sensibilités sur le sujet. Le positionnement de Mme Hassan s’inscrit, selon toute vraisemblance, dans une stratégie d’évitement ou de compromis, destinée à ne pas heurter certains réseaux communautaires proches du Maroc.

Cette logique politicienne produit une conséquence directe : le sacrifice du droit à l’autodétermination d’un peuple au nom d’un équilibre électoral supposé

L’anticolonialisme ne peut être conditionnel

La position de Mme Hassan pose une question de fond à toute personne se réclamant des luttes anticoloniales : l’anticolonialisme est-il un principe ou un instrument ?

On ne peut dénoncer l’occupation israélienne de la Palestine tout en légitimant celle du Sahara occidental. On ne peut pas invoquer la légalité internationale pour certains peuples et la relativiser pour d’autres. L’universalité du droit à l’autodétermination ne peut être négociée au gré des alliances politiques ou des sensibilités partisanes.

Par Salim Djellab, Centre d’Analyse du Sahara Occidental (CASO)


Recommandation du CASO Le CASO invite l’ensemble des universitaires, journalistes, juristes et militant·e·s engagé·e·s dans la défense du droit international à :

Refuser les lectures relativistes du conflit sahraoui ;

Recentrer l’analyse sur le droit et les faits établis par les institutions internationales ;

Condamner toute instrumentalisation électorale ou communautaire du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.