Majesté,
Nous sommes un groupe de filles et fils de cette nation. Nous nous adressons à vous parce que vous détenez l’autorité ultime, et donc la responsabilité ultime dans ce pays. Le peuple du Maroc souffre, sa jeunesse le crie dans les rues avec force depuis dix jours. Jusqu’à présent, la réaction des autorités a été la répression et les arrestations par centaines. Des actes de violence, regrettables mais prévisibles, s’en sont ensuivis, dont certains ont causé des morts. L’heure est grave, et il est de notre devoir de vous parler avant qu’un engrenage fatal, à Dieu ne plaise, ne mène notre pays vers l’inconnu.
La jeunesse du Maroc, cœur battant de notre société, réclame une réforme de la santé et de l’éducation – et au-delà, de la gouvernance. Ces revendications, soutenues par l’ensemble du peuple, sont légitimes. Elles réclament une réponse concrète, profonde et d’ordre politique. Seule une réponse de ce type pourra apaiser les tensions, ramener la raison et redonner espoir.
Les jeunes de la génération Z réclament la chute du gouvernement de Aziz Akhannouch. Nous ne pouvons que les soutenir dans cette revendication, qui devra être mise en œuvre par les moyens constitutionnels adéquats. La gravité de la situation appelle en effet un geste fort de ce type. Mais nous ajoutons que, pour qui connait la vraie source du pouvoir exécutif au Maroc, ce geste, si fort soit-il, restera symbolique – et les symboles, seuls, ne suffisent pas. Ce qui est réellement nécessaire, c’est de traiter les causes profondes et structurelles de la colère qui secoue notre pays.
Ce traitement de fond devrait s’articuler autour de trois axes essentiels :
- La moralisation du pouvoir, qui exige une lutte sincère et efficace contre la corruption, l’économie de rente, le clientélisme et la collusion entre l’argent et l’autorité.
- Les priorités de l’État, qui doivent être centrées sur les besoins essentiels du peuple – l’éducation, la santé et la création d’emplois – au lieu de persister dans les dépenses somptuaires telles que le plus grand stade de football du monde, les trains les plus rapides d’Afrique, etc.
- La crédibilité des institutions, qui ne peut être restaurée qu’en liant rigoureusement l’exercice effectif du pouvoir à la responsabilité politique face au peuple – et le cas échéant, la responsabilité pénale face aux tribunaux.
Dans le moyen et le long terme, il est indispensable que le Maroc s’engage dans ces voies de réforme avec détermination. Dans le court terme, il faut convaincre les Marocain·e·s, génération Z en tête, de la réalité et du sérieux de cette détermination. Hélas, beaucoup de nos jeunes ont perdu tout espoir, les violences récentes le démontrent. Pour les convaincre, il faudra plus que des discours, déjà entendus mille fois. Il faudra des actes palpables.
C’est pourquoi, dans le but de redonner espoir en démontrant une réelle volonté de changement, nous prions respectueusement votre Majesté de bien vouloir prendre les mesures suivantes :
1. Présenter, au nom de l’État, vos condoléances aux familles des victimes de ces derniers jours et vous engager à ce que des enquêtes sérieuses et transparentes sur ces drames soient diligentées, et que les responsables rendent des comptes ;
2. Proclamer une ouverture immédiate sur le plan des droits humains : libération de tout·e·s les détenu·e·s du mouvement GenZ212 et de tout·e·s les autres prisonnie·ère·s politiques et d’opinion au Maroc, à commencer par ceux du Hirak du Rif ; abandon de toutes les poursuites judiciaires à motivation politique ; garantie de l’indépendance éditoriale des médias publics et leur ouverture à toutes les sensibilités politiques et idéologiques ; réforme du code pénal pour en éliminer toutes les entraves à la liberté d’expression ;
3. Lancer un processus de réforme constitutionnelle qui consacre (réellement, cette fois) la souveraineté démocratique du peuple, les libertés fondamentales et la séparation des pouvoirs – et ce, au moyen d’une procédure qui rompe totalement avec les pratiques passées consistant à nommer des commissions constitutionnelles sous influence du Makhzen ou l’État profond ;
4. Ouvrir un dialogue national pleinement représentatif, visant à réexaminer les priorités économiques et sociales du Maroc et les moyens de les mettre en œuvre ; et dans l’attente des résultats de ce dialogue, charger une instance nationale de suspendre ou réduire tous les investissements non essentiels, d’auditer les projets entachés de soupçons, et de réorienter les budgets ainsi dégagés vers la santé et l’éducation publiques.
Majesté,
Notre espoir est grand que vous receviez cette lettre comme une initiative loyale destinée à faire avancer notre pays, sans rancune ni exclusion. Notre espoir est immense qu’en prenant ces mesures, vous ouvriez, après vingt-six ans de votre règne et alors qu’une nouvelle génération émerge, la voie vers une réconciliation réelle de toutes les filles et fils de ce pays – une voie qui garantisse à tous ce que nos jeunes scandent dans les rues depuis dix jours : dignité, liberté, justice sociale.
(…)
Lettre ouverte à Mohammed VI, roi du Maroc – رسالة مفتوحة إلى محمد السادس، ملك المغرب