15 décembre 2025
Depuis des années, le Maroc s’emploie à construire un récit international le présentant comme un acteur de référence de la transition énergétique dans la région. Annonces spectaculaires, chiffres ambitieux et mégaprojets solaires ont servi à consolider l’image d’un prétendu leadership « vert ». Pourtant, déconstruire le récit du « miracle vert » marocain suppose de dépasser le discours officiel et d’examiner la réalité concrète des projets. Le complexe solaire Noor Midelt I, à l’arrêt depuis 2019, en constitue un exemple particulièrement révélateur.
Comme l’a révélé Africa Intelligence dans son article « Avec le projet solaire Noor Midelt I, le français EDF espère voir la lumière au bout du tunnel», publié le 5 décembre 2025, le projet n’a toujours pas démarré six ans après son attribution à un consortium conduit par l’énergéticien français EDF, aux côtés de l’émirati Masdar et de la joint-venture marocaine Green of Africa (GoA), partiellement détenue par l’actuel chef du gouvernement marocain, Aziz Akhannouch. Un retard prolongé qui met sérieusement en cause l’image d’efficacité et de sécurité juridique que Rabat cherche à projeter à l’international.
Un projet à l’arrêt et des négociations sous haute tension
Depuis 2019, la situation d’EDF au Maroc s’est progressivement dégradée. Le blocage de Noor Midelt I et les tensions avec l’Agence marocaine pour l’énergie durable (Masen) ont contraint le groupe français à dépêcher, en septembre 2025, Laurent Clément, ancien vice-président d’EDF Africa, pour prendre la tête d’EDF Power Solutions Maroc. Il ne s’agissait pas de lancer un nouveau projet, mais bien de sauver un projet déjà attribué et politiquement enlisé.
Ce geste illustre la fragilité réelle du supposé « miracle vert ». Les négociations avec Rabat se sont transformées en un bras de fer interminable et hautement politisé, impliquant jusqu’à la direction d’EDF à Paris. L’hypothèse d’un accord début 2026 ne saurait être interprétée comme un succès, mais comme le constat de six années de paralysie d’un projet emblématique du modèle énergétique marocain.
Du solaire thermique au repli technologique contraint
Le cœur du conflit porte sur les choix technologiques et leurs coûts. Noor Midelt I avait été conçu comme un système hybride associant solaire thermique à concentration (CSP) et photovoltaïque (PV). Or, les graves dysfonctionnements techniques et financiers du complexe Noor Ouarzazate, également piloté par Masen, ont entraîné des surcoûts considérables pour l’État marocain et nourri une défiance institutionnelle croissante à l’égard du CSP.
Dans les faits, le Maroc a imposé un virage technologique a posteriori : EDF doit revoir l’ensemble de ses calculs, réduire drastiquement la part du solaire thermique, privilégier le photovoltaïque et y adjoindre des systèmes de stockage par batteries (BESS). Loin d’une planification stratégique cohérente, ce revirement traduit une improvisation manifeste et un transfert des risques vers les opérateurs internationaux.
Pression tarifaire et insécurité contractuelle
À cette instabilité technique s’ajoute une pression économique croissante. Masen se réfère désormais aux tarifs extrêmement bas proposés par le binôme ACWA Power – Nareva (entreprise étroitement liée à la monarchie marocaine) pour les phases Noor Midelt II et III, attribuées en 2024. Avec des prix avoisinant 3 centimes d’euro par kWh, Rabat exige que le consortium mené par EDF s’aligne rétroactivement sur ces conditions pour la première phase du projet.
Une telle exigence revient à renégocier des contrats conclus plusieurs années auparavant, en faisant abstraction du contexte technique et financier initial, et en faisant peser l’ensemble du risque sur les investisseurs. Cette pratique remet en cause la crédibilité du cadre réglementaire marocain et confirme que le « miracle vert » repose davantage sur des rapports de force politiques que sur des règles stables et prévisibles.
De l’échec interne à l’écoblanchiment externe
Le blocage de Noor Midelt devrait servir d’avertissement face à la projection internationale du Maroc comme puissance « verte ». Incapable de garantir stabilité et prévisibilité sur son propre territoire, le régime marocain cherche désormais à exporter ce modèle défaillant vers les territoires occupés du Sahara occidental, en faisant des énergies renouvelables un instrument de légitimation politique.
Au Sahara occidental, les projets solaires et éoliens portés par des entreprises liées à l’État marocain et à la monarchie sont mis en œuvre sans le consentement du peuple sahraoui, dans un territoire non autonome en attente de décolonisation, comme le rappellent les Nations unies et la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne. Présentés comme du développement durable, ces projets participent en réalité d’une stratégie d’écoblanchiment de l’occupation.
Déconstruire le récit du « miracle vert » marocain, c’est reconnaître cette contradiction fondamentale : tandis que les grands projets au Maroc se heurtent à des blocages, à des renégociations forcées et à l’incertitude, ceux du Sahara occidental occupé sont mis en scène comme des vitrines de modernité destinées à normaliser une situation illégale.
Car lorsque la transition énergétique se construit sur des contrats contraints, des territoires occupés et des peuples réduits au silence, elle cesse d’être une promesse d’avenir pour devenir une autre forme — plus sophistiquée et moins visible — de violence politique.
Voilà le véritable bilan du prétendu « miracle vert » marocain.
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