PHOTO: agence marocaine de presse via AFP
Par Christophe Ayad et Frédéric Bobin
Mohammed VI, l’islam et les islamistes
Le quotidien français Le Monde a publié, le 29 août 2025, le sixième et dernier épisode de sa série estivale « L’énigme Mohammed VI », signé par Christophe Ayad et Frédéric Bobin, sous le titre « Mohammed VI, l’islam et les islamistes ». Cet épisode s’intéresse au rôle religieux du monarque, commandeur des croyants, et à la manière dont il utilise cette fonction pour consolider sa légitimité et contenir l’influence des islamistes.
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Fort de son titre de « commandeur des croyants », Mohammed VI s’appuie sur une légitimité religieuse singulière pour arbitrer la vie cultuelle, encadrer le champ spirituel et user les islamistes par l’intégration et l’usure. Ce statut, consolidé par la Constitution, sert à la fois de socle symbolique, de paratonnerre politique et de vecteur d’influence régionale.
Un geste social-religieux qui dévoile la mécanique du pouvoir
Le 26 février, en « commandeur des croyants », le roi recommande de renoncer au sacrifice de l’Aïd-el-Adha en raison des « défis climatiques et économiques » et de l’effondrement du cheptel après sept années de sécheresse. Le 7 juin, il accomplit pourtant, devant les caméras, le sacrifice de deux béliers – l’un pour sa famille, l’autre pour la communauté. La plupart des Marocains suivent sa recommandation, évitant une dépense de 6 000 à 7 000 dirhams alors que le SMIC est inférieur à 300 € par mois : un arbitrage où la tradition rencontre le souci social.
Un titre façonné par l’histoire, cimenté par la Constitution
De Lyautey – qui réhaussa le registre religieux du sultan sous le protectorat – à Hassan II, qui en 1962 grave dans le marbre la qualité de « commandeur des croyants » et l’« inviolabilité » du roi, la fonction s’est institutionnalisée. Comme le rappelle le politologue Youssef Belal, il ne s’agit pas d’une fonction religieuse au sens strict, mais d’un rôle de commandement qui place le souverain au-dessus du jeu partisan et constitutionnel.
Mise en scène du religieux, encadrement du culte
Héritier des Dourous hassaniens, Mohammed VI perpétue un rituel où il se montre davantage questionneur que prédicateur. Après les attentats de 2003, la reprise en main est sécuritaire (démantèlements, triangle El-Himma / Mansouri / Hammouchi) et religieuse (autorisation de prêche, « lignes rouges », Conseil supérieur des oulémas en 2009, Institut Mohammed-VI des imams en 2014, Fondation des oulémas africains en 2015). L’État structure le champ religieux et exporte un islam « du juste milieu » – un soft power assumé en Afrique.
Tolérance affichée, libertés bornées
Visites papales (Jean-Paul II en 1985, François en 2019), centre théologique chrétien Al-Mowafaqa (2012) : la vitrine de tolérance est réelle. Mais la liberté de conscience n’a pas été constitutionnalisée en 2011 et le prosélytisme demeure pénalement réprimé. L’ouverture cultuelle renforce la légitimité monarchique sans entamer les bornes politiques du système.
Réformer sans renverser : la Moudawana comme étendard
La réforme du code de la famille (2004) restreint la polygamie, relève l’âge légal du mariage (18 ans), supprime le statut de « chef de famille », améliore les droits au divorce. Son application bute sur une magistrature conservatrice. Une « Moudawana 2 » est annoncée (meilleure protection femmes/enfants), mais l’héritage demeure un verrou doctrinal : « Je ne peux autoriser ce que Dieu a prohibé ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé », pose le roi.
User les islamistes sans choc frontal
Porté par 2011, le PJD arrive en tête ; Abdelilah Benkirane devient chef du gouvernement. Le palais engage une guerre d’usure : blocages de coalition, remplacement par Saad-Eddine El Othmani, adoption de mesures impopulaires sous gouvernements PJD (fin des subventions carburants, cannabis thérapeutique, renforcement du français à l’école, normalisation avec Israël). Résultat : déroute en 2021, triomphe du RNI d’Aziz Akhannouch. Pour Hubert Védrine, Mohammed VI a « usé les islamistes » comme Mitterrand durant la cohabitation : coûts politiques externalisés, palais préservé.
Entre morale publique et paradoxes privés
La fonction sacralisée suppose rectitude et décorum ; les rumeurs d’hier (soirées arrosées) et la rigueur d’aujourd’hui (entourage d’arts martiaux, religiosité populaire plus stricte) illustrent des contradictions ordinaires d’un souverain qui règne plus qu’il ne gouverne, libéral par gestes limités, restrictif sur les libertés sensibles. À l’international, paradoxe encore : inquiet des discours islamophobes en France, Rabat ménage pourtant les familles politiques promarocaines qui alimentent ces crispations à Paris.
Le bilan politique du religieux
- L’autorité sacrée sert de paratonnerre et d’outil d’arbitrage social (Aïd, sécheresse).
- L’État institutionnalise le culte et exporte un islam « modéré » comme soft power.
- L’islamisme partisan est épuisé par le jeu institutionnel, sans être éradiqué (incertitude Al-Adl wal-Ihsane).
- Les libertés de conscience demeurent circonscrites.
Par le sacré, le système tient et se stabilise, mais referme l’horizon d’une sécularisation des libertés.
À propos de la source
Cet article reprend et synthétise le volet 6/6 de la série d’enquêtes de Le Monde, « L’énigme Mohammed VI », épisode intitulé « Mohammed VI, l’islam et les islamistes », signé Christophe Ayad et Frédéric Bobin, publié le 29 août 2025 (article réservé aux abonnés).
Cet article d’analyse, publié par la PLATEFORME « N’OUBLIE PAS LE SAHARA OCCIDENTAL », s’appuie sur le sixième épisode de la série « L’énigme Mohammed VI » paru dans Le Monde le 29 août 2025.
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