Une tribune de Mohamed Elbaikam – – Algerie Patriotique
Ce 20 novembre, la commission de l’Agriculture et du Développement rural (AGRI) du Parlement européen a été le théâtre d’un débat inhabituellement tendu.
La Commission européenne y a présenté une proposition visant à modifier les règles d’étiquetage d’origine pour les produits agricoles et de la pêche provenant du Sahara occidental – un territoire que les Nations unies classent comme non autonome, dont le statut juridique demeure non résolu.
Bien que la proposition semble technique en apparence, ses implications sont bien plus profondes : elle cherche en réalité à contourner toute une série d’arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui a affirmé à plusieurs reprises – dans des jugements de 2016 jusqu’à octobre 2024 – que le Sahara Occidental est un «territoire distinct et séparé» au regard du droit de l’UE, et que tout accord portant sur ses ressources naturelles nécessite le consentement de son peuple.
Cette proposition n’est pas une erreur isolée.
Elle reflète une tendance plus large, dans laquelle la Commission privilégie les manœuvres politiques au détriment de la clarté juridique dans sa gestion de ce dossier ancien.
Un témoignage personnel : 14 ans dans le labyrinthe institutionnel de l’UE
Depuis 2011, à travers mes responsabilités au sein d’associations sahraouies de la société civile actives dans l’agriculture et la pêche, j’ai été directement engagé auprès des institutions européennes – le Parlement, la Commission, les unités des droits de l’Homme, les services juridiques, les départements du commerce et les représentations permanentes.
A mes débuts, je voyais l’UE avec admiration. Je pensais qu’elle incarnait la transparence, les valeurs démocratiques et l’Etat de droit.
Mais au fil du temps, au travers de dizaines de réunions et d’échanges, une autre réalité est devenue impossible à ignorer : les décisions concernant le Sahara Occidental sont davantage façonnées par les préférences politiques de certains Etats membres que par les arrêts contraignants de la CJUE.
La France exerce une influence politique forte sur l’approche européenne.
L’Espagne considère le dossier sous l’angle de ses intérêts économiques, des accords de pêche et de la coopération migratoire.
Le résultat est préoccupant : le droit de l’UE avance ou recule en fonction des sensibilités des capitales nationales, et non en fonction d’obligations juridiques impartiales.
Tout au long de mon travail, j’ai constaté plusieurs faiblesses structurelles :
• A une occasion, une institution européenne a été utilisée indirectement pour entraver ma participation à un événement de la société civile à Bruxelles.
• Lors d’une autre réunion, un haut fonctionnaire a insisté pour que la conversation reste confidentielle, alors même qu’elle portait sur des questions qui, par principe, devraient relever des règles de transparence publique.
Lorsque le scandale du «Marocgate» a révélé l’existence de réseaux d’influence opérant au sein du Parlement européen, il est devenu clair que le problème n’était pas hypothétique.
Cela soulève une question essentielle : le Parlement européen a-t-il déjà mené un examen interne indépendant concernant les accords UE–Maroc incluant le Sahara Occidental, malgré leur incompatibilité avec les arrêts de la CJUE ?
A ce jour, la réponse est non.
La crise est plus profonde : ce dossier dépasse le Sahara Occidental
Cette affaire révèle bien plus qu’un simple différend territorial. Elle expose une tension structurelle au cœur même du projet européen :
• entre les principes juridiques et la logique politique ;
• entre les valeurs proclamées et le comportement institutionnel ;
• entre l’UE en tant que communauté de droit et l’UE en tant qu’addition d’intérêts nationaux à court terme.
Dans ce dossier, la Commission agit souvent moins comme la gardienne des traités que comme un acteur politique cherchant à «gérer les relations» plutôt qu’à faire respecter la clarté juridique.
Une telle approche a un coût important, non seulement pour les populations vivant sous le statut non résolu du Sahara Occidental, mais aussi pour la crédibilité de l’Union européenne elle-même.
L’Europe défend à juste titre le droit international dans de nombreuses crises mondiales, notamment en Europe orientale. Mais la crédibilité juridique ne peut être sélective. Un ordre fondé sur des règles perd son autorité morale lorsque ses règles deviennent négociables.
Il ne s’agit pas d’un dossier marginal ou éloigné. C’est un miroir révélant un défi profond auquel l’Union européenne est confrontée.
La question est simple mais fondamentale : l’Europe veut-elle rester une union gouvernée par le droit ou une union gouvernée par la commodité politique ?
La manière dont l’UE gère la question du Sahara Occidental déterminera bien plus que l’avenir d’un territoire. Elle déterminera si le projet européen peut préserver l’intégrité de ses fondements juridiques et éthiques.
L’Europe ne sera pas affaiblie par des menaces extérieures. Elle le sera de l’intérieur si les obligations juridiques deviennent optionnelles, si les décisions de justice deviennent flexibles et si les principes sont discrètement troqués dans des bureaux fermés.
Le Sahara Occidental n’est pas un détail technique dans une annexe commerciale. C’est un test moral pour l’Europe, et la réponse de l’Europe révélera le futur qu’elle se destine.
M. E.-B.
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