«Le conflit autour du Sahara occidental révèle les lâchetés et les incohérences de la classe politique française»
L’édito – Marianne
Par Gérald Andrieu
À l’occasion des 25 ans de règne de Mohammed VI, Emmanuel Macron lui a offert sur un plateau le Sahara occidental, sans que ça ne suscite beaucoup de réactions. Oubliant le droit à l’autodétermination des peuples, cette décision révèle en réalité les lâchetés et les incohérences de la classe politique française.
Un obus de 155 mm non explosé reposant, sans personne à la ronde, sur un sol rocailleux. Nous sommes dans le désert algérien, à des heures de pick-up de la ville de garnison de Tindouf. Et à quelques encablures de la ligne de front, tenue par l’armée marocaine, aussi figée dans le temps que l’est cet obus au milieu de ce paysage lunaire. Souvenir d’un reportage réalisé il y a vingt ans et qui n’avait trouvé aucun journal pour le publier. Déjà, à l’époque, le sort du Sahara occidental, ancienne colonie espagnole annexée par le Maroc au mitan des années 1970 et dont une partie du peuple avait été poussée à l’exil dans le désert algérien, n’intéressait pas grand monde. Tout juste entendait-on parler de lui quand le Front Polisario, son mouvement politique et armé, osait menacer le Paris-Dakar…
Mais pourquoi y revenir aujourd’hui alors que l’Ukraine, alors que Gaza, alors que le Liban et l’Iran, alors que le Venezuela? Pas parce que ce conflit oublié démontre l’impuissance de la « communauté internationale ». On n’avait pas besoin des Sahraouis pour cela. Pas non plus parce que ce conflit gelé montre l’indigence de ceux qui dénoncent l’idée de frontière, la confondant avec un mur, alors même qu’un véritable mur de sable, bordé de mines, sur des centaines de kilomètres, le Maroc en a construit un, à cet endroit précis, sans que ça les émeuve. Il ne s’agit pas non plus de s’appesantir sur la marocanité ou non du Sahara occidental, débat piégé et sans fin. Si ce conflit mérite ici notre attention, c’est que, en apparence mineur, il révèle les lâchetés et les incohérences majeures de la classe politique française.
A commencer par le chef de l’État. Voilà donc qu’après avoir dragué de façoné hontée les Algériens dès la campagne de 2017 à grands coups de « colonisation= crime contre l’humanité ». Emmanuel Macron a décidé d’offrir au Maroc, leur ennemi juré, et à Mohammed VI, le plus beau cadeau qu’ils pouvaient attendre d’un président français: une lettre signée de sa main qui plonge un peu plus dans l’oubli ces dizaines de milliers de Sahraouis vivant reclus dans le désert. Oublié le droit a l’autodétermination des peuples, Emmnanuel Macron explique tranquillement que, « pour la France, l’autonomie sous souveraineté marocaine est le cadre dans le quel [la question du Sahara occidental] doit étre résolue ». Une décision qui le fait peu ou prou s’aligner sur Donald Trump. Lequel, habituellemenl, sert de boussole à tous les indignés de la classe médiatico politique française. Mals pas là.
Le Sahara occidental illustre en fait la méthode désastreuse d’Emmanuel Macron sur la scène internationale. Sans vision. Il ne pratique pas le « en même temps », mais le « successivemnt », alors que ce domaine mérite cohérence et constance. En Ukraine, Macron voulait d’abord entretenir le dialogue avec Poutine … puis a voulu jouer les meilleurs amis de Zelensky. Au Liban, il y a tout juste quatre ans après l’explosion du port de Beyrouth, on allait voir, Macron allait rebâtir ce pays et réunir sa population… puis a fini par disparaître, abandonnant à leur sort ceux qu’il prétendait aider. Peu de temps après l’attaque terroriste de Hamas depuis Gaza, Il proposait une aberrante, « coalition internationale » sur le modèle de celle qui avait lutté contre Daech… et aujourd’hui le même Macron ne comprend sans doute pas pourquoi Israel ne veut pas entendre ses appels à un cessez-le-feu.
Bien sûr, il était un peu naïf et illusoire d’espérer établir une relation de confiance avec l’Algérie tant le régime en place joue du ressentiment à l’égard de l’ancienne puissance coloniale qu·est la France. En cela, le chef de l’État n’avait pas totalement tort quand il parlait de la « rente mémorielle » dont use le pouvoir algérien. Mais le Maroc a-t-il mieux traité notre pays que l’Algérie? Ce sont bien ses services qui, à l’aide du logiciel Pegasus, écoutaient les téléphones d’Emmanuel Macron et de plusieurs de ses ministres…
N’est-ce pas aussi le Maroc qui a obtenu de l’Espagne une inflexion sur le Sahara occidental, notamment en laissant entrer des milliers de migrants sur son territoire? Quand la Biélorussie de Loukachenko et la Turquie d’Erdogan usent de l’arme migratoire, on entend monter les critiques. Mais avec le Maroc, elles se font moins fortes. Et il n’y a rien à attendre du RN, très étonnant soutien de Mohammed VI et de la marocanité du Sahara occidentaL…
Il en est un autre qui se fait silencieux: Jean-Luc Mélenchon. Et avec lui, c’est tout LFI qui est bâillonnée. La rapacité d’une monarchie qui, en mettant la main sur le Sahara occidental, s’est emparée de mines de phosphate et d’eaux riches en poissons, voilà une histoire qui aurait dû leur plaire. Mais non, pas vu, pas pris! Les lnsoumis, qui se sont entichés de la cause palestinienne, auraient pu aussi trouver quelques plaisants parallèles: un peuple contraint à l’exil, des camps de réfugiés, des résolutions de l’ONU oubliées… Même les drapeaux palestinien et sahraoui se font écho. Mais non, pas de tweets rageurs de Rima Hassan ou de Thomas Portes. Car le « Vieux» ne le tolérerait pas.
Encore récemment, dans un entretien au Courrier de !’Atlas, Mélenchon faisait de ce pays un quasi-paradis laïque ! Sans doute, cet aveuglement s’explique-t-il par le fait qu’il est né à Tanger et y a passé ses onze premières années. D’autres ajouteront qu’il pourrait avoir des arrière-pensées électoralistes la communauté marocaine étant importante en France a contrario des Sahraouis. On ne veut pas y croire … Peut-être les lnsoumis sont-ils tout simplement à la plage – c’est les vacances, après tout – couchés sur le sable, prenant le soleil, comme cet obus croisé il y a vingt ans. Les Sahraouis, eux, cela fall cinquante ans qu’ils goûtent aux «joies» du sable el du soleil.