Chahid El Hafed 25 juillet 2019 (SPS) – Le Président des Relations extérieures du Front Polisario et Coordinateur avec la Mission des Nations unies pour le référendum au Sahara occidental (Minurso), M’hamed Khadad, a accordé jeudi une interview a la SPS a propos de la bataille juridique menée par le Front POLISARIO devant les tribunaux européens pour mettre fin au pillage illégal des ressources naturelles du Sahara Occidental.
Les résultats de cette bataille ont été les décisions de la Cour de l’Union européenne, qui a affirmé que le Sahara occidental est un pays à part entière et distinct du Maroc, et que ce dernier n’a pas le droit d’exploiter ces ressources, car le seul propriétaire est le peuple sahraoui.
Voila le texte intégral de l’interview:
Entretien avec M. Mhamed KHADAD
ACTIONS EN DROIT EUROPÉEN : QUELLES PROCÉDURES ? QUELS ENJEUX ?
Le Front Polisario engagé une série de recours en droit européen depuis maintenant huit ans. Alors qu’une nouvelle série de recours vient d’être engagée, c’est l’occasion de faire le point avec Monsieur Mhamed KHADAD.
Pour quelles raisons le Front POLISARIO a-t-il engagé ces procès en droit européen ?
Depuis l’origine, le Front POLISARIO fonde son action sur le respect du droit international. Le peuple Sahraoui est dans une démarche d’application du droit, fondé sur le principe de l’autodétermination des peuples. Avec le droit européen, il nous est apparu qu’il y avait une grande opportunité, en obtenant un contrôle du droit par une juridiction indépendante et impartiale, la Cour de justice de l’Union européenne. C’est donc un travail en continuité, fondé sur les mêmes principes, mais nous ajoutons une carte complémentaire, à savoir des procédures efficaces.
Alors l’Europe est un adversaire ou un allié ?
Nous ne pouvons pas raisonner globalement. Les organes politiques, à savoir le Conseil, la Commission et le Parlement, défendent le Maroc – en fait leurs intérêts au Maroc – en violant le droit. En revanche, la juridiction européenne, avec l’arrêt du 21 décembre 2016, valide les principes qui fondent notre action, soit la reconnaissance de deux territoires distincts et séparés, et l’absence de souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental.
Quel est l’état des procédures ?
Il y a deux phases. Depuis des décennies, l’Union européenne passait un accord avec le Maroc et tout le monde considérait que cet accord pouvait être appliqué « de facto » sur le territoire Sahraoui. Avec l’arrêt de 2016 (accord d’association), puis les deux arrêts de 2018 (pêche et aviation civile), la Cour de justice a mis fin à cette pratique : un accord signé avec le Maroc ne s’applique qu’au territoire du Maroc. L’Union européenne aurait dû négocier avec le Front POLISARIO, et nous sommes intervenus en ce sens. Mais les dirigeants politiques ont préféré une nouvelle manœuvre : comme la Cour a condamné l’application « de facto », ils ont prévu un mécanisme d’extension explicite.
Quels accords ont été passés ?
L’UE passe d’abord un accord avec le Maroc, puis les deux décident de l’appliquer au territoire du Sahara occidental. Il y a eu l’accord d’association, le 28 janvier 2019, puis l’accord de pêche, le 4 mars 2019. Dans les deux cas, le Front POLISARIO a engagé un recours en annulation. Ces deux recours sont enregistrés devant la cinquième chambre du Tribunal de l’Union européenne, une formation qui connaît très bien le dossier : c’est elle qui avait rendu, le 10 décembre 2015, la première décision favorable au Front POLISARIO, à propos de l’ancien accord d’association.
Comment va évoluer la procédure ?
Le Conseil et la Commission vont déposer leurs mémoires. Peut-être des Etats voudront intervenir directement, comme la France et l’Espagne, pour soutenir leur allié marocain. Peut-être le Maroc fera-t-il intervenir un syndicat… Il y aura à nouveau une bataille sur la recevabilité. Nous sommes habitués à cela, et tous nos arguments sont prêts. Mais maintenant, nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur des principes issus des arrêts de 2016 et 2018. C’est du solide.
Sur quel principe sont fondés ces deux procès ?
La souveraineté. Dans la première phase, la problématique était ambiguë avec cette notion « de facto » qui voulait tout dire et rien dire. Maintenant, c’est clair : c’est une attaque directe contre la souveraineté Sahraouie. Alors qu’en 2016, la Cour a dit qu’il y avait deux territoires distincts et séparés, et que le Maroc n’est pas souverain, les dirigeants politiques décident d’étendre l’accord marocain sur le territoire Sahraoui, malgré le refus du Front POLISARIO. Ce procès est fondamentalement une question de souveraineté, et nous défendons une ligne stricte : il ne peut y avoir d’activité sur le territoire qu’avec notre consentement. Ce pourquoi d’ailleurs nous avons trouvé des accords avec la solidarité pour, dans cette phase du dossier, seul le Front POLISARIO agisse en justice, en tant qu’organe souverain.
Quel est l’argument juridique du Conseil de l’Union européenne?
Dans l’arrêt de 2016, la Cour a dit qu’il ne peut y avoir d’activité qu’avec le consentement du peuple du Sahara occidental. Les dirigeants européens parlent de la consultation “de la population du territoire”, et en plus, ils n’ont consulté que les colons marocains. Or, on ne peut pas confondre « consentement du peuple » et « consultation des colons »… C’est de la vieille posture colonialiste, comme au XIXème siècle : les Européens décident ce qui est bon pour les Arabes, et ils trouvent sur place quelques pantins, achetés pour pas cher… Rien de neuf, hélas !
Un aspect illustre la nullité du processus. On parle de l’extension à un territoire, mais cette extension ne joue que pour la partie occupée militairement. Ainsi la partie libérée n’est pas concernée par cette extension… Quelle validité en droit international ?
Comment expliquer ce choix ?
La première raison est le passage en force pour gagner du temps – le temps du procès – vu que le but réel est de s’enrichir de manière illicite avec les ressources Sahraouies.
La deuxième est plus fondamentale, et elle souligne la faiblesse de la position marocaine. Comment croire que le Conseil et la Commission peuvent défendre les intérêts réels du Maroc ? L’Europe ne défend que ses intérêts, et elle cherche à s’organiser une sortie honorable, en laissant les illusions marocaines se fracasser sur le mur des réalités. Donc, pour les dirigeants européens, perdre le procès est un moindre mal, car ils laissent ainsi la Cour annoncer elle-même la mauvaise nouvelle, et ils s’organisent pour faire reporter la responsabilité de l’échec sur le Maroc.
Le Maroc a donc admis qu’il n’est pas souverain sur le territoire du Sahara occidental ?
Oui, et c’est un acquis de plus de nos actions en justice ! Ce n’est pas compliqué : si un jour l’Espagne admet qu’il faut étendre un accord au territoire de la Catalogne, c’est que la Catalogne est devenue indépendante ! Si la France étend un accord à la Bretagne, c’est que la Bretagne n’est plus française. Aussi, s’il faut étendre l’accord au Sahara occidental, c’est que ce territoire n’est pas marocain. CQFD, et le Maroc a signé.
Au final quelle est l’efficacité de tout ce processus ?
Nous avons gagné la première phase de la bataille juridique. Déjà les répercussions sont tangibles avec l’arrêt de la Cour de justice Sud Africaine de 2018, le retrait du territoire de toutes les sociétés étrangères de prospections pétrolières, l’arrêt d’importations de phosphate sahraoui de Bucraa de nombreuses entreprises américaine, canadienne, australienne, de colombie et autres. Il n’existe plus l’application de facto sur terre, sur mer et pour l’espace aérien. Ce sont des avancées considérables. Quand nous aurons fait tomber ces nouveaux accords, il n’y aura plus de cadre juridique pour permettre les investissements européens et l’accès au marché européens depuis le Sahara occidental. Or, le Makhzen ne peut pas financer sa politique coloniale au Sahara occidental sans l’apport européen : notre but est d’anéantir l’économie de la colonisation.
Ensuite, nous sommes maintenant décidés à ajouter le volet « responsabilité », pour obtenir la compensation de ce vol de nos ressources naturelles. Il fallait d’abord établir les bases juridiques, et mettre en évidence les procédés de spoliation.
090/500 (SPS)