Maroc : neutraliser ou dynamiter l’Union africaine ? | tsa-algerie.com – Par Ignacio Cembrero

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À peine nommé, en juillet 2014, envoyé spécial de l’Union africaine (UA) pour le Sahara occidental, Joaquim Chissano, l’ancien président du Mozambique, se mit à frapper à toutes les portes pour revendiquer la tenue d’un référendum d’autodétermination dans cette ancienne colonie espagnole contrôlée par le Maroc.
Chacun de ses voyages à New York, à Paris, à Madrid ou à Londres était précédé de démarches des ambassadeurs du Maroc auprès du secrétariat général de l’ONU, des ministères des Affaires étrangères français, espagnol ou britannique demandant que Chissano ne soit reçu que par des sous-fifres. Ces tentatives de faire barrage à l’émissaire de l’UA apparaissent dans des câbles diplomatiques dévoilés anonymement à travers Twitter fin 2014 et jamais démentis par les autorités marocaines.
La nomination de Chissano n’est qu’un exemple parmi d’autres. L’Organisation de l’unité africaine, jusqu’en 2002, et depuis, sa remplaçante l’UA, ont toujours épaulé, avec plus ou moins d’enthousiasme, le référendum d’autodétermination que préconise le Front Polisario.

« La politique de la chaise vide n’était pas payante »

Trente-deux ans après avoir quitté l’UA, pour protester contre l’admission en 1982 de la RASD parmi ses membres, les autorités marocaines sont arrivées à la conclusion qu’elles ont eu tort d’avoir laissé le champ libre à leurs adversaires au sein d’une organisation qui a gagné en crédibilité et en influence ces dernières années. C’est pour cela qu’elles veulent y revenir, une adhésion que devrait entériner le sommet des chefs d’État africains qui se tient les 30 et le 31 janvier à Addis Abeba.
Brahim Fassi-Fihri, directeur du think-tank marocain Amadeus et fils d’un conseiller du roi, le reconnaissait dans une interview à la presse locale : « Ce retour [du Maroc] signifie que la politique de la chaise vide n’était pas payante ». « L’UA est restée le seul cheval de bataille de nos adversaires », faisait observer, dans une déclaration au Monde, Nasser Bourita, numéro deux de la diplomatie marocaine, laissant ainsi entendre qu’ailleurs, Rabat était déjà vainqueur. « C’était donc normal d’aller là où ce combat se livre », ajouta-t-il.

Neutraliser l’Union africaine

Le combat à livrer, reconnaissent en sous-main les diplomates marocains, consiste à « neutraliser une UA aujourd’hui entre les mains des anti-marocains » car le rapport de forces ne permet pas encore de la conquérir. Rabat avait d’ailleurs songé, à la fin du printemps dernier, de tenter de combiner son retour avec l’expulsion ou, du moins, la suspension de la RASD comme membre de l’organisation. L’enjeu, s’est-elle rendu compte, n’était pas à sa portée. Ce n’est que partie remise, pense-t-on dans les arcanes du pouvoir marocain.
La Maroc compte depuis toujours un certain nombre d’amis au sein de l’UA, surtout parmi les pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Mais, désorganisés diplomatiquement, ils ne pouvaient pas contrebalancer l’influence des poids lourds du continent, l’Afrique du Sud, le Nigeria et, en dernière instance, l’Algérie. « Une fois à l’intérieur de l’UA, nous allons essayer de nous coordonner avec nos alliés pour contrer les initiatives qui nous portent préjudice », affirme un diplomate marocain.
Il n’y a pas que le Sahara occidental qui a pesé dans la décision marocaine de demander sa réintégration au sein de la famille africaine. Le Maroc accroît petit à petit sa présence politique et économique en Afrique au point d’être aujourd’hui le deuxième investisseur africain dans le continent, surtout dans sa partie occidentale, derrière l’Afrique du Sud. Il dépasse l’Égypte et l’Algérie dont le PIB est pourtant plus élevé. « Nos progrès dans les relations bilatérales avec des pays africains resteraient incomplets si nous restions absents du multilatéralisme africain », fait observer le même diplomate.
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Emmené par son roi Mohamed VI, le Maroc s’est mis en branle pour adhérer haut la main à l’UA. La demande a été formulée officiellement en septembre. Le souverain n’a, depuis, pas cessé de sillonner l’Afrique sauf quand le manque de préparation de la visite, comme celle prévue ce mois-ci au Sud-Soudan, au Ghana et en Zambie, l’oblige à l’annuler à la dernière minute.
Partout où il a été, il a rappelé avec insistance que « les racines du Maroc sont en Afrique », puis des accords-cadres ont été signés et des promesses formulées sur l’aide que les amis du royaume alaouite, c’est-à-dire les pays du Golfe, pourraient un jour fournir aux Africains. L’idée avait déjà été glissée par les diplomates marocains à la veille du sommet de novembre à Malabo entre l’UA et la Ligue arabe.
Sur le plan interne également, le Maroc s’est mobilisé. L’absence de gouvernement, depuis bientôt quatre mois, n’a pas empêché la Chambre des représentants de se réunir dare-dare en janvier pour ratifier l’acte constitutif de l’UA qui prévoit le « respect des frontières existant au moment de l’accession à l’indépendance », ce que le Maroc enfreint. Les pays signataires s’engagent aussi à « défendre la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de ses États membres ». Rabat se compromet donc, en théorie, à défendre la RASD !

Dynamiter l’Union africaine

Emmenés par l’Algérie, mais sans chef d’État reconverti en pèlerin africain qui puisse donner la réplique au monarque alaouite, les adversaires du Maroc, concentrés pour l’essentiel dans le cône sud de l’Afrique, se sont eux aussi rameutés. Si les diplomates marocains parlent de « neutraliser » l’UA pour qu’elle ne leur soit plus hostile, les Algériens eux disent que les Marocains cherchent plutôt à « dynamiter » une organisation qui fonctionne raisonnablement bien. « Les jérémiades marocaines sur le Sahara risquent désormais d’empoisonner la vie de l’institution au point de la bloquer », prévient un diplomate algérien.

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Car une fois à l’intérieur, le Maroc a bel et bien l’intention, dans un deuxième round, de tenter de mettre la RASD à la porte de l’organisation. La tâche ne sera pas facile. L’acte constitutif de l’organisation ne prévoit pas l’expulsion d’un pays. Il faudrait donc le modifier, à la majorité des deux tiers, pour ensuite procéder à l’exclusion des indépendantistes saharaouis. Connaissant les intentions marocaines, il est peu probable que la majorité requise des membres se prête à la manœuvre.
Les plus fervents partisans de la RASD ont cru, dans un premier temps, qu’ils pourraient empêcher le retour du Maroc au sein de l’UA, mais le candidat à l’adhésion a aisément réuni une majorité bien plus large que la strictement nécessaire parmi les 54 pays membres de l’organisation. Brahim Ghali, le leader du Polisario, et Ramtane Lamamra, le ministre algérien des Affaires étrangères, se sont donc résignés fin janvier à donner à demi-mot la bienvenue à la candidature du Maroc.
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Un avis juridique

À défaut de prévenir l’adhésion de Rabat, une poignée de fidèles de la RASD vont tenter de la retarder, selon des sources algériennes. Pour ce faire, ils veulent la soumettre à une sorte d’examen de passage (avis juridique) pour élucider s’il y a contradiction entre sa promesse, faite le 18 janvier, de respecter les frontières coloniales et la Constitution de 2011 qui met en exergue « l’intégrité territoriale [du royaume] dans ses frontières authentiques ». Il ne s’agit évidemment pas de celles de 1956, quand le Maroc accéda à l’indépendance, mais de celles qui englobent le Sahara occidental. En attendant cet avis juridique, qui serait rendu la veille du prochain sommet africain en juin, le candidat devra patienter.
Les pays, une dizaine dont l’Algérie, l’Afrique du Sud et l’Angola, qui souhaitent faire passer cette épreuve à l’aspirant marocain, ne sont pas assez nombreux pour s’imposer. Ils vont cependant réussir à provoquer un débat en séance plénière où ils exposeront leurs arguments : l’adhésion du Maroc ne doit pas déboucher sur la contestation de l’appartenance de la RASD à l’UA et Rabat doit en plus donner des gages sur sa volonté sincère de négocier de bonne foi avec le Polisario en acceptant, pour ce faire, les bons offices de l’UA.
Pour être certains que les autorités marocaines tiendront leurs engagements, il serait utile de mettre sur pied, selon ces puissances africaines, un comité de suivi de son adhésion. Il est hors de question pour le Maroc d’accepter d’être mis sous tutelle.
La délégation marocaine n’assistera pas à ce débat en plénière. La présidente sortante de la Commission de l’UE, Nkosazana Dlamini-Zum, en a tranché autrement. « La décision [sur son admission] ne sera officiellement communiquée au Royaume du Maroc qu’à l’issue du Sommet », annonce un communiqué signé par elle le 26 janvier.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, ceux qui soutiennent le Polisario se sont mis à trouver quelques avantages à la réintégration du Maroc au sein de l’UA. Il souligne par exemple, l’ancien ambassadeur Abdelaziz Rahabi, que s’asseoir à la même table que la RASD est « une reconnaissance indirecte » de son ennemi. L’UA constituerait ainsi, selon Rahabi, « un espace de rapprochement entre les deux parties » qui faciliterait peut-être la reprise d’un dialogue interrompu depuis 2008.
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Après tout, le Maroc et la Mauritanie ont siégé ensemble pendant six ans (1963-1969) à l’OUA en s’ignorant avant de se décider à établir des relations diplomatiques. Les exemples du contraire sont plus abondants. Le Sénégal a côtoyé les Saharaouis dans l’UA sans jamais les reconnaître et bon nombre de pays arabes en ont fait autant avec Israël, dans diverses instances internationales, sans jamais établir le moindre lien avec ce qu’ils appelaient l’ « entité sioniste ».

Se battre désormais sur deux fronts

Mohamed Khadad, l’interlocuteur du Polisario avec la Minurso, le contingent des Nations unies déployé au Sahara, trouve lui une autre raison de ne pas trop s’appesantir du retour du Maroc. Pour Khaddad, l’un des principaux problèmes de la cause sahraouie c’est qu’elle est occultée par la presse occidentale et les grandes puissances. « L’arrêt de la Cour européenne de justice de décembre, qui stipule que le Sahara occidental ne fait pas partie du Maroc, et les débats houleux qui vont se dérouler à partir de maintenant au sein de l’UA vont aider à la faire davantage connaître », se console-t-il.
Le Maroc, il est vrai, va se battre désormais sur deux fronts. Au Nord, il le fera à travers ses alliés européens, à commencer par la France et l’Espagne, pour limiter les conséquences de l’arrêt de décembre sur l’ensemble de sa relation avec l’Union européenne. Au Sud, pour parachever sa réintégration africaine en éliminant de l’UA son principal ennemi. Plus que jamais sa diplomatie va pratiquer la monoculture saharienne !

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