Maroc/Sahara occidental : Les allégations de torture assombrissent le procès des accusés sahraouis | Human Rights Watch

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Verdict attendu pour les Sahraouis inculpés dans le cadre des affrontements meurtriers de 2010

(Tunis) –  Les autorités judiciaires marocaines devraient veiller à ce que les jugements attendus dans le cadre d’un procès collectif ne se fondent pas sur des aveux ou des déclarations impliquant d’autres accusés extorqués sous la torture ou les mauvais traitements lors d’interrogatoires policiers, ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch.
La cour d’appel de Rabat doit rendre son verdict dans le procès de 24 Sahraouis, peu après une audience prévue le 18 juillet 2017. Les accusés sont inculpés d’être responsables de la mort de 11 membres des forces de sécurité lors d’affrontements qui ont suivi le démantèlement par la force d’un grand camp de protestation à Gdim Izik, au Sahara occidental, en 2010. Ils ont été déclarés coupables à l’issue d’un procès militaire, mais la cour de cassation, plus haute instance judiciaire au Maroc, a ordonné la tenue d’une nouvelle procédure civile, après l’adoption d’une nouvelle loi interdisant de juger des civils devant des tribunaux militaires.
« Le Maroc a pris une mesure positive en ordonnant un nouveau procès devant une instance civile, mais il devrait encore veiller à ce que nul ne soit déclaré coupable sur la base de preuves extorquées sous la torture », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
Lors du précédent procès, un tribunal militaire de Rabat a déclaré tous les accusés coupables, en se fondant presque exclusivement sur des « aveux » qui auraient été obtenus sous la torture. La plupart des accusés ont été condamnés à de lourdes peines et ont déjà passé plus de six ans en prison.
En 2015, une nouvelle loi a mis fin aux procès militaires de civils. Le Maroc s’est ainsi aligné sur les normes internationales. L’année suivante, la cour de cassation a ordonné que le groupe de Gdim Izik soit rejugé devant la chambre d’appel de la cour d’appel de Rabat. Lors de ce procès, qui s’est ouvert le 26 décembre 2016, le tribunal a accepté que des médecins agréés par les tribunaux procèdent à des examens médicaux pour 21 accusés afin d’évaluer leurs allégations de torture, mais a rejeté cette demande pour les trois autres qui sont en liberté.
Les médecins ont examiné les accusés en février et en mars, près de sept ans après les faits présumés de torture. Les rapports médicaux, que Human Rights Watch et Amnesty International ont pu consulter, notent les types de torture et de mauvais traitements que chacun des accusés affirme avoir subis lors de son arrestation et de son interrogatoire, peu après leur interpellation fin 2010. Ils affirment notamment avoir été roués de coups, parfois alors qu’ils étaient suspendus par les poignets et les genoux, et avoir subi des sévices sexuels (y compris des viols à l’aide d’un objet). On leur aurait également arraché les ongles des doigts et des orteils. Tous les rapports médicaux se terminent par la même phrase, à quelques variations près : « Les symptômes qu’il présente actuellement et les éléments que nous avons constatés au cours de l’examen ne sont pas spécifiques aux méthodes précises de torture dénoncées. »
« L’appareil judiciaire marocain ne doit pas gâcher l’occasion de rendre justice que représente cette procédure civile », a déclaré Heba Morayef, directrice des recherches pour l’Afrique du Nord à Amnesty International. « Le tribunal doit exclure ces aveux et déclarations, sauf s’il parvient à démontrer de manière convaincante qu’ils ont été faits volontairement. Aucun accusé ne doit être sanctionné au motif que ses allégations de torture n’ont pas fait l’objet d’investigations pendant des années. »
La Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, que le Maroc a ratifiée en 1993, oblige les États parties à abolir la torture et les autres formes de mauvais traitements et à empêcher que de tels actes ne portent atteinte au droit à un procès équitable. Elle accorde aux victimes de torture le droit de porter plainte devant les autorités qui doivent procéder immédiatement et impartialement à l’examen de leur cause. Aux termes de la Convention, les autorités sont aussi tenues d’enquêter sur toute allégation de torture même en l’absence d’une plainte officielle.
En outre, les États parties doivent veiller à ce que « toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n’est contre la personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été faite ». Le Sous-Comité pour la prévention de la torture a également souligné que les tribunaux doivent se garder de faire une interprétation erronée de l’absence de preuves médicales en concluant à l’absence d’actes de torture.
La Constitution marocaine interdit également les actes de torture ou les actes « cruels, inhumains, dégradants ou portant atteinte à la dignité ». Le Code pénal marocain érige en infraction la torture. D’après le Code de procédure pénale, les aveux obtenus par la « violence » ou la « contrainte » ne sont pas recevables devant les tribunaux. Néanmoins, il est fréquent que les tribunaux marocains se fondent sur des aveux qui auraient été obtenus sous la torture ou la contrainte comme principale source de preuves pour prononcer leurs jugements.
Les accusés sahraouis sont notamment jugés pour avoir constitué une « bande criminelle » et avoir participé à – ou s’être rendus complices – des violences contre les forces de l’ordre ayant « entraîné la mort avec intention de la donner ». Ces accusations sont liées aux affrontements qui ont suivi le démantèlement par la police du camp de protestation installé à Gdim Izik, le 8 novembre 2010, non loin de Laayoune, la ville principale du Sahara occidental.
Le Comité contre la torture a conclu le 15 novembre 2016 que le Maroc avait bafoué à plusieurs titres les droits de l’un des accusés, Naâma Asfari, découlant de la Convention contre la torture. En réaction à une plainte déposée par Naâma Asfari, représenté par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), le Comité a conclu que les autorités n’avaient pas enquêté sur ses allégations de torture et de mauvais traitements, en vue de le protéger lui et son avocat contre des représailles, et l’avaient privé de réparations, notamment de rééducation médicale et d’indemnisation. Il a ajouté que le tribunal militaire l’avait déclaré coupable en se fondant sur une déclaration obtenue sous la torture et les mauvais traitements.
Dans le cadre du procès en cours, les familles des membres des forces de sécurité tués lors des troubles sont représentées en tant que parties civiles dans cette affaire, alors que le tribunal doit encore se prononcer sur le fait qu’elles puissent ou non faire partie de la procédure, ce qui n’était pas le cas dans le cadre de l’affaire précédente.
« Les familles en deuil veulent que justice soit rendue, mais la justice sera mal servie si elle se fonde sur des preuves obtenues sous la torture ou la contrainte », a déclaré Sarah Leah Whitson.
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