Prisonniers politiques sahraouis : Gdeim Izik, la dignité sahraouie ne s’emprisonne pas – Victoria G. Corera

Prisonniers politiques sahraouis : Gdeim Izik, la dignité sahraouie ne s’emprisonne pas – Victoria G. Corera

En octobre 2010, plus de vingt mille Sahraouis ont dressé aux abords de Laâyoune le campement de Gdeim Izik. C’était un acte de résistance pacifique contre l’occupation marocaine et la discrimination systématique, un cri collectif pour la dignité qui a précédé même les printemps arabes. La réponse du régime marocain fut brutale : le 8 novembre, les forces policières et militaires ont démantelé le camp avec violence, provoquant des morts, des blessés et des centaines d’arrestations. De cet épisode est né l’un des symboles les plus douloureux et en même temps les plus fermes de la résistance sahraouie : les prisonniers de Gdeim Izik.

Vingt-trois militants ont été soumis à un procès militaire entaché d’irrégularités, sans preuves matérielles et avec des condamnations dictées sur la base d’aveux extorqués sous la torture. En 2017, après l’annulation formelle du procès militaire, un tribunal civil à Rabat a répété le même scénario : lourdes peines de prison, dont plusieurs à perpétuité. Les Nations unies, Amnesty International, Human Rights Watch et de nombreux observateurs internationaux ont dénoncé ce procès comme politique, contraire au droit international et dépourvu de garanties minimales de défense. Depuis lors, les prisonniers ont été dispersés dans des prisons marocaines à des centaines de kilomètres du Sahara Occidental, isolés de leurs familles, soumis à de mauvais traitements et privés de droits fondamentaux.

Quinze ans plus tard, leur situation reste la preuve vivante de la répression marocaine. Dans leur déclaration commune de juillet 2025, les prisonniers ont dénoncé la continuité des tortures, les conditions inhumaines de détention et la persécution de leurs familles. Ils ont rappelé que les tribunaux d’occupation ont délibérément ignoré le Protocole d’Istanbul et se sont exclusivement appuyés sur des rapports policiers pour les condamner. « Les véritables actions que nous avons commises —affirment-ils— sont des actions de défense du droit de notre peuple à la dignité, à la souveraineté et à l’autodétermination. » Leur voix depuis les prisons devient un manifeste contre l’injustice et une réaffirmation de la résistance.

L’intervention récente de la représentante adjointe de l’Afrique du Sud auprès de l’ONU à Genève, Tsholofelo Tsheole, a remis le projecteur international sur cette tragédie. Lors de la conférence « Sans défense : le crime d’être sahraoui », tenue au Palais des Nations, elle a comparé le traitement infligé par le Maroc aux prisonniers sahraouis à la logique de l’apartheid en Afrique du Sud : la détention arbitraire comme outil de répression destiné à briser toute résistance pacifique. Tsheole a dénoncé les arrestations sans mandat, les détentions au secret, la torture et les procès sans défense indépendante. Et elle a souligné que les rapports des mécanismes de l’ONU —y compris le Groupe de travail sur la détention arbitraire et le Comité contre la torture— sont « délibérément ignorés » par les autorités marocaines.

Les voix des prisonniers se mêlent aux dénonciations de l’AFAPREDESA, qui salue l’exigence ferme des Nations unies de libérer immédiatement tous les prisonniers politiques sahraouis. L’association rappelle qu’ils sont détenus depuis près de quinze ans en violation flagrante du droit international. Les Nations unies ont été claires : le Maroc doit mettre fin à la détention arbitraire, libérer les prisonniers, indemniser les victimes, garantir des conditions de détention dignes et poursuivre les responsables de la torture. Le cas de Naama Asfari, condamné après des aveux arrachés sous la torture, est particulièrement significatif : son épouse, l’activiste française Claude Mangin, subit harcèlement et intimidations, et l’ONU a qualifié ces pratiques de « totalement inacceptables ».

Les conditions des prisonniers violent même les Règles Nelson Mandela, les normes minimales de l’ONU pour le traitement des détenus : absence d’accès à l’éducation, interdiction des visites familiales, isolement et privation de soins médicaux. Le Groupe de travail de l’ONU a exhorté le Haut-Commissariat aux droits de l’homme à réviser ces cas et à garantir des visites régulières du Comité international de la Croix-Rouge. Malgré ces résolutions, le Maroc persiste dans la répression, protégé par la complicité de puissances internationales qui privilégient la stabilité avec Rabat au détriment de la justice pour les Sahraouis.

Les prisonniers politiques de Gdeim Izik ont répondu avec dignité, recourant encore et encore à la grève de la faim comme unique arme face aux mauvais traitements. En septembre 2025, Mohamed Bachir Butenguiza a entamé une grève de la faim de 48 heures à la prison centrale de Kénitra après que les autorités ont interdit à sa sœur, l’activiste et journaliste Salha Boutenguiza, de lui rendre visite. Ce geste extrême est une manière de dénoncer l’arbitraire et d’exiger le respect de ses droits fondamentaux, comme l’a rappelé le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire.

La responsabilité n’incombe pas seulement au Maroc. L’AFAPREDESA désigne l’Espagne comme puissance administrante du Sahara Occidental et exige que l’Union africaine et l’Union européenne interviennent pour faire appliquer les décisions des Nations unies. Elle réclame la libération immédiate de tous les prisonniers, des compensations pour les victimes et la reddition de comptes des responsables de la torture. Elle demande aussi l’ouverture du territoire occupé à la presse, aux observateurs internationaux et au HCDH, auquel Rabat refuse l’accès depuis neuf ans.

Les prisonniers de Gdeim Izik vivent derrière les barreaux depuis près de trois lustres, mais ils n’ont pas pu être brisés. Le Maroc a voulu les utiliser comme exemple de peur, il les a transformés en symboles de dignité. Leurs lettres, leurs grèves de la faim et la fermeté de leurs familles rappellent au monde que le Sahara Occidental ne se rend pas. Gdeim Izik n’est pas un chapitre clos : c’est une plaie ouverte qui incarne un demi-siècle de répression et de résistance sahraouie.

Aujourd’hui, alors que l’on commémore cinquante ans d’occupation illégale du Sahara Occidental, la voix des prisonniers politiques résonne plus fort que jamais. Parler de Gdeim Izik, c’est parler de la dignité d’un peuple qui ne s’emprisonne pas. Leur liberté sera aussi celle du Sahara, car sans justice pour eux, il n’y aura pas de justice pour tout un peuple qui continue à revendiquer ce qui lui revient : son autodétermination et son indépendance.

Plataforma «No te olvides del Sahara Occidental»