Sahara Occidental : le pari colonialiste plus que risqué du monarque présidentiel | Les invités de Club Mediapart

Sahara Occidental : le pari colonialiste plus que risqué du monarque présidentiel | Les invités de Club Mediapart
Le courrier adressé par le président de la République française au roi du Maroc, le 30 juillet (à l’occasion de la fête du Trône), marque un tournant majeur dans la position de la France au sujet du Sahara occidental. Emmanuel Macron « considère que le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine » et affirme que « l’autonomie sous souveraineté marocaine est le cadre dans lequel cette  question doit être résolue ». De plus, cette dernière constitue désormais, pour Emmanuel Macron, « la seule base pour aboutir à une  solution politique juste, durable et négociée conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ». Cet alignement officiel sur les positions marocaines se fait au mépris des droits légitimes du peuple du Sahara Occidental, les Sahraouis, et intervient de surcroît alors que le président est défait par les urnes (élections européennes et législatives), que le gouvernement démissionnaire est censé gérer seulement les affaires courantes et au moment de la dite « trêve olympique ».

Nous avons alerté en 2018, par une lettre ouverte directement destinée à Emmanuel Macron, de la lourde responsabilité de la France dans la non-décolonisation du Sahara Occidental. Nous avons tenté, malgré la censure, d’informer le public sur l’effondrement des principes moraux de la France en raison de son soutien à l’occupation de la dernière colonie d’Afrique.

Nous constatons maintenant qu’un pas est franchi, et qu’Emmanuel Macron s’assoit désormais officiellement sur l’avis de la Cour Internationale de Justice de 1975, sur toutes les décisions de justice (cour africaine des droits de l’homme et des peuples et cour européenne de Justice) et les résolutions de l’ONU reconnaissant le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Le président de la République française officialise donc désormais sa position… de soutien au colonialisme.

Le « Méprisant de la République »* se mue ainsi en « délinquant international » et, ce faisant, engage la France dans un pari plus qu’anachronique. Pense-t-il, un seul  instant, que cette décision soit de nature à rassurer les pays africains ? Et ce, au 21ème siècle ?

Le lendemain de la fête du Trône, alors que la frange la plus réactionnaire, colonialiste et chauvine de l’échiquier politique français se félicitait de la lettre d’Emmanuel Macron, le président de la République Arabe Saharaouie Démocratique (RASD), Brahim Ghali, était accueilli par le premier ministre de Mauritanie pour assister à la cérémonie de prestation de serment du président réélu. La Mauritanie, au sud du Sahara Occidental, reconnait la RASD. Il en est de même de l’Algérie à l’Est, plus grand pays d’Afrique et 3ème puissance économique du continent. C’est le cas aussi de l’Afrique du Sud (1ère puissance du continent), du Nigeria (4ème puissance) et de la majorité des pays d’Afrique.

Il n’est nul besoin d’être un « Mozart de la finance » ou même la « Castafiore » (selon le bon mot du sénateur Ian Brossat)** pour comprendre que la prise de position d’Emmanuel Macron sera donc également préjudiciable pour un partenariat renouvelé avec l’Afrique. Du reste, l’Algérie a déjà annoncé le retrait avec effet immédiat de son ambassadeur en France. D’autres mesures sont attendues… et il est fort probable que celles-ci, affichées ou non, n’émaneront pas seulement de l’Algérie. Ni la Mauritanie, ni l’Afrique du Sud, ni le Nigeria, ni plein d’autres pays africains resteront insensibles au devenir de la dernière colonie d’Afrique et au rôle joué par la France dans la non décolonisation du Sahara Occidental.

En engageant officiellement la France dans cette aventure coloniale, Emmanuel Macron ne s’assoit donc pas seulement sur le droit international. Il fait d’une part un bras d’honneur au timide travail effectué par la commission algéro-francaise sur l’histoire de la colonisation, et, d’autre part, un bras d’honneur au partenariat renouvelé et attendu entre l’Afrique et la France. C’est là un pari plus que risqué pour la France.

* Monique Pinçon-Charlot, 2023, Le Méprisant de la République, Editions Textuel, Paris.

** « On a un banquier à la tête de l’Etat… Et Il a fallu qu’on ait un banquier à la tête de l’Etat pour qu’on se retrouve ruiné ! On nous a dit c’est “le Mozart de la finance”, c’est pas le Mozart de la Finance, c’est la Castafiore ! Regardez l’Etat des finances publiques dans notre pays » (Ian Brossat, Public Senat, 24 mars 2024).

Signataires :

Yazid Ben Hounet, Chargé de recherche CNRS, LAS-EHESS-Collège de France

Said Bouamama, sociologue retraité

Claude Calame, Directeur d’études EHESS, Centre AnHiMA

Michele Leclerc-Olive, Chargée de recherche honoraire CNRS, IRIS-EHESS.

Alessandro Stella, Directeur de recherche CNRS, CRH-EHESS.

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