En affirmant que « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine », le président Emmanuel Macron a pris le risque d’une rupture avec l’Algérie, dans le seul but d’amadouer la droite et l’extrême droite françaises.
Le Sahara occidental est-il aussi loin du Palais Bourbon qu’on l’imagine habituellement ? On peut s’interroger sur cette proximité inattendue à suivre l’une des rares interventions politiques estivales d’Emmanuel Macron, en dehors de ses effusions régulières avec les médaillés français aux Jeux olympiques.
Le 30 juillet, trois semaines après le deuxième tour des élections législatives et l’arrivée d’une chambre des députés éclatée en trois blocs majeurs (macroniste, Nouveau front populaire, Rassemblement national), le président de la République écrit, à l’occasion de la fête du Trône, une lettre au roi du Maroc, Mohammed VI, où il s’aligne sans grande nuance sur la position chérifienne quant au règlement de la question sahraouie posée depuis bientôt cinquante ans.
Le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine. Aussi, je Vous affirme l’intangibilité de la position française sur cet enjeu de sécurité nationale pour Votre Royaume. La France entend agir en cohérence avec cette position à titre national et au niveau international. Pour la France, l’autonomie sous souveraineté marocaine est le cadre dans lequel cette question doit être résolue. Notre soutien au plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007 est clair et constant.
Un référendum d’autodétermination oublié
Oubliée la résolution des Nations unies en vertu de laquelle les habitants de la région doivent être obligatoirement consultés pour décider de leur avenir. Territoire non autonome, le Sahara occidental doit toujours en principe faire l’objet d’un référendum d’autodétermination.
Son seul effet prévisible est une nouvelle crise franco-algérienne qui survient avec un lent effacement du soft power français dans ses trois anciens départements d’outre-Méditerranée. Sur le marché algérien, la Chine et la Turquie ont devancé les exportateurs français. La troisième place leur est âprement disputée par l’Italie de la première ministre Giorgia Meloni, qui entend supplanter Paris dans toute l’Afrique du Nord. L’ENI, la grande société transalpine, rafle le plus gros du gaz naturel algérien et les céréales russes contestent de plus en plus fortement la place éminente des céréaliers de la Beauce dans l’approvisionnement de l’Algérie en blé tendre dont sort le pain quotidien de plus de 44 millions d’Algériens. Si la visite attendue du président algérien Abdelmadjid Tebboune, qui sera sans aucun doute réélu le 7 septembre 2024 pour un deuxième mandat, à Paris, est annulée, ce ne sera que la troisième ou la quatrième fois, mais la première quasi-rupture des relations diplomatiques depuis 2020.
Satisfaire la droite
Pourquoi le président de la République a-t-il pris le risque d’une inéluctable crise franco-algérienne ? Pourquoi mettre en danger son grand dessein poursuivi depuis 2017, la réconciliation des deux pays à partir d’une histoire revisitée en commun et acceptable par leurs élites ? Depuis le 8 juillet, en réalité, tout a changé. Son front principal n’est plus l’Ukraine, l’Union européenne ou la Nouvelle-Calédonie, mais le sauvetage de la politique de l’offre mise en place sous le règne de François Hollande et intensifiée sous celui de Emmanuel Macron. Elle se résume à soutenir fortement les entreprises et leurs actionnaires quitte à rationner l’État-providence (écoles, hôpitaux, budgets sociaux) en réduisant ses recettes et en rabaissant drastiquement ses ambitions. La majorité des électeurs a condamné ces choix, l’Assemblée nationale coupée en trois ne peut la continuer, mais l’Élysée espère que le renfort des 47 députés Républicains ajoutés aux 166 députés des trois groupes d’Ensemble et à la compréhension des 126 élus d’extrême droite s’assureront une simili majorité et qu’il pourra ainsi sauver le plus gros de son héritage économique et financier, en particulier la dernière réforme des retraites.
Une illusion de plus ? Sans doute, mais la lettre à Mohamed VI représente un geste supplémentaire pour amadouer la droite qui a en partage sa proximité avec la monarchie chérifienne et son hostilité viscérale à l’Algérie, souvenir d’une guerre coloniale perdue et de son opposition de longue date à la politique pro-algérienne déployée par le général de Gaulle et soutenue alors par l’extrême gauche. Aujourd’hui, les gaullistes ont disparu en tant que force parlementaire et les communistes n’ont plus que 9 députés (sur 577). Le reste de la gauche dénonce l’autoritarisme du régime d’Alger qui a réprimé le mouvement populaire du Hirak et emprisonné de nombreux journalistes.
Les accords de 1968 entre les deux pays ont déjà fait l’objet fin 2023 d’une offensive en règle où l’on retrouvait le Rassemblement national, Les Républicains et Édouard Philippe, ancien premier ministre du président Macron. Conçu pour faciliter l’immigration économique et pallier le besoin de main-d’œuvre des Trente Glorieuses (1945-1974), l’accord prévoyait la libre circulation entre les deux pays pour les ressortissants algériens. Vidé de son contenu au cours des ans, le texte n’a plus guère d’influence sur les flux migratoires ; pourtant la droite s’est mobilisée pour l’abroger, ce qui lui permet d’agiter ses fantasmes sur « l’invasion » du pays. Le gouvernement de Gabriel Attal a d’ailleurs aussitôt mis à l’ordre du jour sa renégociation, un chiffon rouge pour Alger qui tient à la valeur symbolique de l’accord. Sa réalité est plus prosaïque, le dernier avantage consenti aux Algériens est de permettre à leurs étudiants en France de s’établir comme commerçant !
Journaliste, ancien directeur du Nouvel Économiste et ex-rédacteur en chef de l’Express.
Origen: Sahara Occidental. Une manœuvre politicienne et risquée du président Macron – Jean-Pierre Sereni