‘Un jour, une carte’ – Sahara occidental : la Cour européenne de justice, le droit international et la politique – RTBF Actus

‘Un jour, une carte’ – Sahara occidental : la Cour européenne de justice, le droit international et la politique – RTBF Actus
© T. Coutellier – RTBF – En jaune clair, le territoire administré aujourd’hui par le Maroc.

Le Sahara occidental est un territoire revendiqué avec force, et depuis des années, par le Maroc voisin. Mais aujourd’hui, à l’occasion de plusieurs arrêts portant sur des accords d’association entre l’Union européenne et le Maroc, la cour de Justice européenne rappelle que cette revendication ne va pas de soi.

La cour de Justice européenne a rendu la semaine dernière plusieurs arrêts. Deux de ceux-ci concernent l’élargissement des accords d’association entre le Maroc et l’Union européenne. Ces accords, qui datent de 2019, et qui concernent aussi les produits venant du territoire du Sahara occidental, ont été conclus en méconnaissance des principes de l’autodétermination du peuple sahraoui, dit la cour.

Dans le texte, on lit également que le peuple du Sahara occidental n’a pas donné son consentement dans l’élaboration de ces accords.

Un troisième arrêt, peut être encore plus symbolique, exige que les tomates et les melons exportés du Sahara occidental vers l’Europe portent une étiquette sur laquelle il faut lire qu’ils proviennent du «Sahara occidental», et non pas du «Maroc».

Et ces arrêts ont des conséquences directes. L’arrêt qui concernant l’étiquetage doit être immédiatement appliqué ; celui qui concerne la pêche, ne pourra pas être reconduit, et celui qui porte sur l’agriculture devra être adapté d’ici un an.

En réalité, les conséquences sont surtout politiques. C’est une satisfaction pour le front Polisario, le mouvement indépendantiste sahraoui, qui avait, avec d’autres parties, saisi la cour.

D’un autre côté, il s’agit d’un important revers pour les autorités marocaines. Car, depuis des années, la question du Sahara occidental est l’axe principal de la politique extérieure du Makhzen, l’exécutif marocain pris au sens large. C’est même ce qu’avait déclaré le roi Mohamed 6 lui-même, lors d’un discours en 2022.

La Commission européenne a réagi en soulignant l'»amitié profonde» et la «coopération solide et multiforme» entre l’Union européenne et le Maroc, soulignant que celle-ci serait portée «à un niveau supérieur dans les semaines et les mois à venir«. En d’autres termes, la Commission va devoir renégocier un accord commercial avec le Maroc, pour tenir compte de son annulation par la cour de Justice européenne.

«Le Maroc ne se considère aucunement concerné par la décision» de la Cour, a souligné de son côté le ministère marocain des Affaires étrangères, expliquant n’avoir participé à «aucune phase» de la procédure. Il appelle par ailleurs l’UE à prendre les mesures nécessaires pour respecter ses engagements internationaux.

Le droit à l’autodétermination comme «principe impératif»

Pourtant, ces arrêts de la cour de Justice de l’Union européenne semblent conformes aux décisions des Nations Unies, et du droit international.

Le Sahara occidental recouvre une superficie de 266 000 km2, au nord de la Mauritanie. Il est le dernier territoire du continent africain dont le statut postcolonial n’est pas réglé : le Maroc en contrôle plus de 80% à l’ouest, le Front Polisario moins de 20% à l’est.

Depuis 1963 et la fin de la colonisation espagnole, le Sahara occidental est un territoire non autonome selon l’ONU ; le peuple du Sahara Occidental dont l’existence est reconnue par les Nations unies est titulaire d’un «droit à l’autodétermination«, qui lui a été reconnu pour la première fois en 1966. Et depuis 1991 et la fin de la guerre entre le front Polisario et le Maroc, le conseil de sécurité a estimé qu’il fallait organiser un référendum d’autodétermination sur le territoire sahraoui ; c’est à cette fin que les Nations unies ont décidé du déploiement d’une force.

«Ce principe de l’autodétermination, c’est un principe impératif du droit international, explique Anne Lagerwall, professeure à la Faculté de droit de l’ULB, et il n’y en a pas beaucoup, des principes impératifs. C’est un principe qui est tellement important qu’on estime qu’on ne peut pas y déroger. On ne peut pas faire des accords qui viendraient proposer une solution qui le mettrait de côté. C’est comme l’interdiction de la torture, l’interdiction du génocide. En droit international, l’autodétermination des peuples a le même statut. C’est un principe indérogeable

Mais le Maroc ne l’entend pas de cette oreille. Ce territoire, qu’il occupe à 80%, lui appartient historiquement, affirme-t-il.

Et à propos de la problématique du référendum l’ambassadeur du Maroc en Belgique, Mohammed Ameur, souhaite opposer les effets d’une décision ultérieure du Conseil de sécurité des Nations Unies : «Le Secrétaire général de l’ONU a, dans son rapport du 23 février 2000 (point 32) conclu à l’inapplicabilité du plan de règlement, réagit-il, et donc l’obsolescence du référendum, ce qui a été avalisé par le Conseil de sécurité qui a, par sa résolution 1541 du 29 avril 2004 et d’autres résolutions ultérieures (résolution 2440 du 1er novembre 2018), définitivement clarifié la méthode préconisée par la communauté internationale pour le règlement de la question du Sahara : une solution politique réaliste négociée et mutuellement acceptable. Par conséquent, depuis plus de deux décennies, le référendum n’est plus une option

Le plan d’autonomie marocain

L’ambassadeur du Maroc met en avant une solution non pas juridique, mais politique. Il fait référence au plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007, et à une résolution du Conseil des Nations Unies, votée en octobre 2022, qui souligne, dans le texte, «qu’il convient de parvenir à une solution politique réaliste, pragmatique, durable et mutuellement acceptable à la question du Sahara occidental, qui repose sur le compromis, et qu’il importe d’adapter l’action stratégique de la MINURSO (Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental, ndlr) et d’affecter les ressources des Nations Unies à cette fin«.

C’est en réponse à d’intenses tractations politiques entreprises par Rabat, que cette question est ainsi posée. Le Maroc a en effet proposé un plan de négociation pour régler le statut du Sahara occidental en 2007, appelé plan d’autonomie. Mais «le Conseil de sécurité a une formule assez générale en réalité, donc assez diplomatique, analyse François Dubuisson, professeur en droit international à l’ULB, et ce qu’on oublie toujours aussi, c’est qu’il y a un plan marocain, mais il y a un plan du Polisario qui a d’ailleurs été proposé juste avant le plan marocain. Le plan marocain est une réponse au plan du Polisario. Le Conseil de sécurité a pris note des deux plans

Quoi qu’il en soit, «le Conseil de sécurité n’a pas condamné le plan d’autonomie, précise Anne Lagerwall. Mais toutes les négociations qui ont lieu doivent toujours arriver à une solution qui soit conforme au cadre juridique du droit international, et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes fait partie de ce cadre.»

C’est d’ailleurs toujours sur cette base que la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples s’est explicitement référée à ce droit à l’autodétermination du peuple sahraoui en janvier 2022.

«Le problème avec le plan d’autonomie qui est proposé par le Maroc, c’est qu’il accepte l’idée d’une consultation de la population, mais en leur offrant des options qui sont toutes des options où le peuple sahraoui et où le Sahara occidental resterait sous la souveraineté du Maroc, ajoute-t-elle. […] Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ça ne veut pas forcément dire qu’il faut absolument l’indépendance, le peuple peut choisir plein de statuts différents. Il peut accepter d’être rattaché à au Maroc s’il le souhaite. Mais en tout cas, l’indépendance doit être aussi une des possibilités. Or, le plan de 2007, il n’offre pas cette possibilité-là

Contourner le droit par la politique ?

(…)

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