Par Victoria G. Corera – Plateforme « N’oubliez pas le Sahara Occidental »
Dans les camps de réfugiés sahraouis, où le temps semble suspendu et où les conditions de vie sont extrêmes, il existe aussi un espace pour l’espérance et la dignité. Cette espérance porte le nom d’un oiseau du désert : Bubisher, un projet culturel qui, depuis plus de quinze ans, transforme l’exil en un espace de résistance et d’avenir.
Né en 2008 sous la forme d’un bibliobus chargé de livres venus d’Espagne, fruit de la solidarité d’écrivains et d’associations, il est aujourd’hui devenu un réseau consolidé de bibliothèques et de bibliobus qui offrent culture, éducation et rêves à des milliers d’enfants et de jeunes sahraouis. Le nom, « bubisher », provient d’un oiseau du désert qui annonce la bonne fortune : une métaphore parfaite pour un projet qui, avec chaque livre, a su semer l’espérance au cœur de l’exil.
Il existe actuellement cinq bibliothèques fixes à Smara, Auserd, Bojador, Dajla et El Aaiún, ainsi que des bibliobus qui parcourent les wilayas et se transforment en véritables bibliothèques itinérantes. Là, les enfants lisent Cervantès, Naguib Mahfouz, Mahmoud Darwich ou des poètes sahraouis contemporains, et découvrent que leur histoire et leur langue ont une valeur que personne ne peut effacer. Chaque bibliothèque est un refuge de dignité, un phare culturel au milieu de nulle part.
Le Bubisher n’est pas seulement un service culturel : c’est un acte politique en soi. Face à l’occupation marocaine, qui tente de faire taire et d’effacer l’identité sahraouie, ce projet élève des tranchées de livres. Chaque bibliothèque est une affirmation de souveraineté culturelle ; chaque atelier de lecture, un exercice de liberté ; chaque bibliobus en marche, un message clair : le peuple sahraoui ne se rend pas, ni dans la guerre, ni dans la culture. Comme l’a souligné la dernière assemblée annuelle : « Aujourd’hui, Bubisher est avant tout le patrimoine de la jeunesse sahraouie : ce sont eux qui le soutiennent, le développent et le transforment en école d’avenir ».
Ce caractère sahraoui du projet est l’un de ses plus grands succès. Ce qui était né comme une initiative de coopération internationale, avec des campagnes de collecte de livres et la participation de bénévoles, est devenu au fil du temps un moteur culturel géré par de jeunes Sahraouis formés dans les camps eux-mêmes. Ce sont eux qui animent les ateliers, organisent les activités, forment de nouveaux médiateurs culturels et maintiennent vivant un patrimoine qu’ils considèrent désormais comme le leur.
L’impact du Bubisher va bien au-delà du simple prêt de livres. Des ateliers d’écriture, d’illustration, de poésie et de narration orale sont organisés ; des rencontres entre écrivains sahraouis et espagnols sont encouragées ; l’égalité des genres est promue et l’esprit critique est stimulé. En chiffres, ce sont des milliers d’ouvrages en arabe et en espagnol qui circulent chaque année ; des centaines d’activités qui animent la vie des wilayas ; des dizaines de jeunes formés comme animateurs culturels. Mais l’essentiel est ailleurs : au milieu de l’exil, Bubisher enseigne que l’avenir peut s’écrire avec des mots et avec des rêves.
Lors de la dernière assemblée annuelle, on a passé en revue les réussites et les défis du projet : consolider les programmes d’animation à la lecture, maintenir les bibliobus en fonctionnement malgré un environnement hostile, élargir le fonds d’ouvrages en arabe et en espagnol et garantir un financement stable permettant de poursuivre la croissance. La volonté de continuer reste inébranlable, car Bubisher n’est plus seulement un projet : c’est un symbole de résistance culturelle.
Face au risque permanent d’oubli qui pèse sur le Sahara Occidental, occupé depuis 1975 et ignoré par une communauté internationale complice, Bubisher est une victoire contre l’invisibilité. Comme le rappellent ses promoteurs : « Chaque livre ouvert dans le désert est une victoire contre l’oubli ».
Le désert est un lieu où rien ne semble pouvoir pousser. Pourtant, dans les camps sahraouis, un projet a pris racine et prouve que la culture est aussi une forme de résistance. Bubisher n’est pas seulement un réseau de bibliothèques et de bibliobus : c’est une tranchée culturelle érigée contre l’injustice, une graine arrosée par la solidarité et la force de la jeunesse sahraouie. Un rappel que les livres peuvent être aussi puissants que la diplomatie ou la résistance armée.
Tant qu’un enfant sahraoui lira dans les camps, il y aura de l’avenir et il y aura de l’espérance.