Abandon du peuple sahraoui : le silence coupable des puissances occidentales

Abandon du peuple sahraoui : le silence coupable des puissances occidentales

Dans une tribune publiée par L’Humanité, Mohamed Elbaikam, défenseur sahraoui des droits de l’homme, dénonce avec clarté et courage la dérive morale et politique des puissances occidentales face au drame du Sahara occidental. Alors que le Conseil de sécurité s’apprête à renouveler le mandat de la MINURSO, l’auteur souligne comment Washington, Paris et une Union européenne en perte de repères ont choisi de troquer les principes du droit international contre des calculs d’intérêts, reléguant le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination au rang de simple variable diplomatique.

Pour Elbaikam, cette complaisance face à l’occupation marocaine marque un tournant dangereux : les États-Unis ont ouvert la voie en reconnaissant en 2020 la prétendue souveraineté de Rabat, la France a suivi en cherchant la stabilité au prix de la justice, et l’Union européenne a multiplié les arrangements commerciaux en violation des arrêts de la Cour de justice de l’UE. Ce renoncement collectif, avertit l’auteur, mine la crédibilité de l’ordre international et envoie un signal corrosif aux peuples opprimés : que les droits humains peuvent être marchandés dès lors qu’ils dérangent les puissants.


Comment les États-Unis, la France et une UE égarée abandonnent la justice au Sahara occidental . L’HUMANITÉ

Tribune,  Mohamed Elbaikam, défenseur des droits de l’homme et activiste sahraoui indépendant, Sahara occidental

Le Conseil de sécurité des Nations unies devrait à nouveau décider du sort d’un peuple dont le droit à l’autodétermination a été différé depuis un demi-siècle. Le renouvellement du mandat de la MINURSO apparaît sur le papier comme une formalité, mais la politique environnante est tout sauf routinière. Dans les couloirs du pouvoir, Washington et Paris – suivis à contrecœur par les institutions de Bruxelles – troquent paisiblement les principes contre la convenance, envoyant ainsi un signal dangereux aux peuples opprimés partout dans le monde.

En décembre 2020, les États-Unis ont rompu avec un consensus international de longue date en reconnaissant formellement la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, dans le cadre d’un accord liant la normalisation de Rabat avec Israël aux objectifs politiques de Washington. Ce geste, largement couvert à l’époque, a réécrit du jour au lendemain un scénario diplomatique et juridique long et complexe.

La France n’est pas restée simple spectatrice. Tant via sa posture diplomatique que ses votes au sein des structures européennes, Paris a souvent favorisé des solutions qui privilégient la stabilité définie par les acteurs étatiques plutôt que la justice requise par les populations occupées. Parallèlement, une partie de la Commission européenne a œuvré à ressusciter ou à recadrer des accords de commerce et d’association avec le Maroc, incluant des bénéfices économiques provenant d’un territoire que l’ONU continue de classer comme non autonome – des actions qui heurtent de front les arrêts de la Cour de justice de l’UE affirmant que le Sahara occidental est distinct et que le consentement du peuple sahraoui est requis pour tout accord portant sur ses terres.

Pour comprendre pourquoi cela importe, il suffit de se remémorer ce que dit le dossier juridique. L’avis consultatif de la Cour internationale de justice de 1975 n’a trouvé aucun lien de souveraineté entre le Maroc et le Sahara occidental ; l’ONU continue de classer le territoire comme non autonome et d’appuyer un processus respectant le droit des habitants à choisir leur avenir. Ce ne sont pas des formules rhétoriques mais la colonne vertébrale de l’ordre international.

Ce que nous assistons aujourd’hui n’est pas une simple realpolitik : c’est un choix stratégique qui privilégie les alignements géostratégiques à court terme et les intérêts commerciaux au détriment des règles et normes destinées à protéger les vulnérables. Les manœuvres récentes de Bruxelles pour relancer des arrangements commerciaux avec le Maroc, qui risquent à nouveau d’inclure des produits issus de territoire occupé, illustrent comment les principes juridiques affirmés par les tribunaux européens sont mis de côté au profit d’une logique transactionnelle.

Le rôle des lobbies et de l’influence ne peut être ignoré. Le Maroc a investi massivement dans le message et l’accès – brouillant parfois la frontière entre diplomatie publique et campagnes d’influence privées, tant au sein de l’UE qu’aux États-Unis. Que le débat se déroule devant des tribunaux, sur les parquets des parlements ou dans les arrière-salles des groupes de réflexion, argent et influence façonnent la narration pour servir des objectifs politiques, non la justice. Des enquêtes et reportages ont déjà documenté comment des réseaux d’influence peuvent fausser les institutions démocratiques et orienter les politiques publiques.

Tout cela a des conséquences concrètes sur le terrain. Les communautés sahraouies à l’intérieur du territoire occupé et en exil continuent de vivre sous des contraintes sur leurs libertés fondamentales et sur leur capacité à contrôler et bénéficier de leurs ressources naturelles. Dans le même temps, les appels du Polisario Front à un référendum réel – incluant l’option de l’indépendance – sont relégués au second plan dans des compromis diplomatiques qui traitent les gens comme des pions d’échange.

Et pourtant, le peuple sahraoui a montré une endurance extraordinaire. Il a résisté à des décennies de manœuvres diplomatiques destinées à effacer sa revendication et son identité. Il endurera aussi l’assaut actuel sur le principe. Mais ne vous y trompez pas : quand les pays et institutions qui affirment défendre les droits humains normalisent des occupations et ignorent la loi, le message international est clair et corrosif – que les droits et la justice peuvent s’acheter ou être contournés, que les slogans des droits de l’homme sont vides quand l’inconfort guette. Ce message ne blessera pas seulement la cause sahraouie ; il enverra un signal à d’autres peuples selon lequel il ne reste plus de justice internationale fiable à laquelle se tourner.

C’est un moment de choix pour les États-Unis, pour la France et pour l’Union européenne. Ils peuvent affirmer leur politique sur l’état de droit, sur les obligations que le système international a réaffirmées à maintes reprises, ou poursuivre dans une voie qui assimile la stabilité à l’acceptation d’une occupation illégale. Si les puissances occidentales choisissent cette dernière voie, elles perdront l’autorité morale avec laquelle elles prêchent la démocratie et les droits de l’homme.

À ceux de New York et de Bruxelles qui participeront aux discussions du Conseil de sécurité : souvenez-vous que la légitimité n’est pas seulement un levier stratégique ; c’est aussi un héritage moral. Se tenir aux côtés du droit et à l’action du peuple sahraoui n’est pas une faiblesse ; c’est la fidélité aux valeurs que vous prétendez représenter.

Origen: Comment les États-Unis, la France et une UE égarée abandonnent la justice au Sahara occidental – L’Humanité


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