Dans une interview publiée le 5 novembre 2025 par Le Courrier d’Algérie, le journaliste engagé Mustapha Aït Mouhoub, président du Réseau des journalistes algériens solidaires avec le peuple sahraoui, revient sur les enjeux politiques, économiques et symboliques de l’occupation marocaine du Sahara occidental. Auteur de l’ouvrage récemment paru Sahara occidental… un peuple brûlant de libération, il dresse un parallèle entre cette occupation et les logiques historiques de domination postcoloniale.
Aït Mouhoub estime que ‘le Sahara occidental concentre toutes les contradictions du monde postcolonial’. Il explique que si le droit international affirme le principe de l’autodétermination, ce principe est souvent relégué au second plan lorsqu’il entre en conflit avec les intérêts des grandes puissances. En cela, le Sahara occidental serait, selon lui, ‘le miroir des empires’.
Le Sahara occidental, laboratoire du post-colonialisme
Pour Aït Mouhoub, ce territoire constitue un exemple emblématique de la manière dont la domination coloniale s’est transformée sans réellement disparaître. Il affirme que ‘l’occupation du territoire par le Maroc n’est pas une anomalie, mais la continuité d’un système global où le droit est subordonné à la géopolitique’. Autrement dit, la décolonisation n’a pas mis fin aux logiques impériales, mais les a redéployées sous des formes contemporaines, désormais soutenues par des partenariats économiques et militaires.
Le paradoxe marocain : un ancien colonisé devenu occupant
Aït Mouhoub souligne un paradoxe fondamental : le Maroc, autrefois colonisé par la France, reproduit aujourd’hui les mêmes mécanismes qu’il a subis. Comme le dit le journaliste, ‘un ancien colonisé qui reprend le rôle du colonisateur’. En citant Frantz Fanon, il rappelle que certaines élites postcoloniales imitent le modèle impérialiste plutôt que de le dénoncer, adoptant le vocabulaire de la civilisation, de la souveraineté historique ou de la mission tutélaire.
Une colonisation de type néo-impérial
Interrogé sur la nature de l’occupation marocaine, Aït Mouhoub la qualifie de ‘néo-impériale’, car elle repose sur trois dimensions fondamentales : une présence militaire, une exploitation économique des ressources, et un effacement culturel et politique du peuple sahraoui. Il cite notamment le mur de séparation de 2700 kilomètres, l’exploitation des phosphates, des pêcheries et des ressources énergétiques, ainsi que la naturalisation forcée des Sahraouis. Le Sahara devient ainsi ‘un espace d’extraction et de dépendance, à l’image des périphéries du capitalisme global’.
Parallèles historiques : de la Namibie au Timor oriental
Aït Mouhoub établit des liens directs entre le cas sahraoui et d’autres luttes de libération naguère considérées comme perdues. ‘La Namibie ou le Timor-Oriental ont prouvé que la libération d’un peuple colonisé n’est pas une utopie, mais une possibilité’, à condition que s’articulent : une mobilisation du peuple, une pression diplomatique internationale et l’engagement des institutions. Ces conditions ne sont pas encore réunies au Sahara occidental, où le conflit reste largement ignoré et où la diplomatie internationale cède aux rapports de force.
La faillite du système des Nations unies
Pour le journaliste, le Sahara occidental révèle le défaut profond du multilatéralisme contemporain. Il constate que ‘le Conseil de sécurité est paralysé par les intérêts de ses membres permanents : la France, les États-Unis et désormais Israël’. Il rappelle aussi le scandale de la MINURSO, seule mission onusienne dépourvue de mandat de surveillance des droits de l’homme, malgré ses 30 années de présence.
Le langage comme instrument de domination
Enfin, Aït Mouhoub consacre une partie importante de l’entretien à la question du langage. Il analyse comment des expressions comme ‘provinces du Sud’, ‘différend régional’ ou ‘plan d’autonomie’ dissimulent la réalité d’une colonisation. ‘Les mots anesthésient la conscience collective. Dire provinces du Sud au lieu de territoire occupé, c’est déjà légitimer la conquête’.
En conclusion, il affirme que ‘le Sahara occidental est l’épreuve morale du système international’, un territoire où s’éprouve la cohérence des principes universels du droit international. Tant que cette contradiction persistera, ‘la promesse inachevée de la décolonisation continuera de hanter notre époque’.
Source
Article de Manel Seghilani, publié dans Le Courrier d’Algérie le 5 novembre 2025.
Disponible en ligne : https://lecourrier-dalgerie.com
Descubre más desde
Suscríbete y recibe las últimas entradas en tu correo electrónico.
