Par Karim B. – La décoration d’Abdelatif Hammouchi, patron de la DGST marocaine, par l’Espagne, qui lui a remis le prestigieux «ordre du mérite de la Garde civile», soulève des interrogations plus qu’elle ne célèbre un véritable mérite. Quelle valeur accorder à ce geste diplomatique lorsque l’homme ainsi honoré est au cœur de pratiques qui posent sérieusement question sur le plan éthique et politique ?

Quel mérite, en effet, peut-on reconnaître à Hammouchi pour avoir orchestré, de manière documentée, le lancement en 2021, de 10 000 migrants marocains à la nage vers les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, dans une manœuvre de chantage politique et migratoire flagrant ? Les autorités espagnoles célèbrent un partenariat «exemplaire», mais peut-on parler de coopération quand elle s’accompagne de pressions humanitaires massives sur le territoire espagnol ?

Quel mérite, encore, pour un responsable accusé d’avoir espionné le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez et d’autres personnalités espagnoles via le logiciel Pegasus ? Si la lutte contre le terrorisme et le crime organisé est invoquée, la surveillance ciblée de dirigeants étrangers ne devrait-elle pas soulever, à Madrid, des questions légitimes de souveraineté et de confiance entre alliés.

Et que dire du mérite supposé d’avoir réprimé les manifestations pacifiques au Maroc, où des citoyens réclament simplement le minimum vital dans un royaume pillé par un régime politique prédateur, soutenu par Hammouchi lui-même ? La décoration espagnole apparaît ici en contradiction avec les principes de droits humains que l’Europe affirme défendre.

Enfin, quel mérite peut-on attribuer à un homme impliqué dans les intrigues de succession autour du roi Mohammed VI, alors même que Madrid affirme entretenir une «amitié» avec le monarque ? La distinction espagnole semble ignorer que la loyauté affichée à Rabat ne garantit pas l’éthique ni la transparence de l’action sécuritaire.

Le discours officiel espagnol insiste sur la «partenariat sécuritaire exemplaire» et la coopération «pour neutraliser les menaces». Pourtant, les faits suggèrent que cette coopération repose sur des pratiques de pression et de surveillance qui mettent à l’épreuve la confiance entre Etats et la crédibilité des institutions. Reconnaître officiellement de telles pratiques comme un «mérite» interroge la cohérence de la politique espagnole, à la fois vis-à-vis de ses propres citoyens et du droit international.

Derrière le faste protocolaire de Madrid, la décoration de Hammouchi révèle les ambiguïtés de la relation Espagne-Maroc, un partenariat officiellement loué, mais qui s’appuie sur des méthodes contestables, des abus de pouvoir et des tensions migratoires instrumentalisées. Une célébration de la coopération qui laisse dans l’ombre le prix humain réel de ce que certains qualifient de «succès sécuritaire».

La décoration de Hammouchi par l’Espagne ne devrait pas être vue comme un simple honneur protocolaire. Elle expose une fracture profonde entre le prestige officiel et les réalités humaines et politiques que ces pratiques engendrent. Elle interroge la crédibilité et la moralité des choix sécuritaires et diplomatiques, et rappelle que la distinction officielle peut parfois masquer des pratiques dont le coût humain est réel et durable.

K. B.