Mardi 30 juillet, au milieu de l’été, Emmanuel Macron a reconnu au nom de l’Etat français la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental dans une lettre au roi Mohammed VI. Ce cadeau de l’impérialisme français à un de ses alliés essentiels est une attaque historique contre l’autodétermination du peuple sahraoui.
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Dans une lettre au roi Mohammed VI publiée mardi 30 juillet, au milieu de l’été, le président Macron a annoncé un changement historique dans la position de Paris quant au dossier du Sahara occidental. Alors que le Maroc occupe depuis 1975 près de 80% du territoire sahraoui avec la complicité des puissances impérialistes et de l’ONU, la France pourrait rejoindre les Etats-Unis et l’Espagne, les deux seuls autres pays occidentaux qui soutiennent la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental.
La France et le Maroc, main dans la main pour enterrer l’autodétermination du peuple sahraoui
Dans sa lettre, le président Français affirme au roi du Maroc : « Je considère que le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Une décision qui est en réalité l’aboutissement d’un processus de marchandisation de la colonisation du Sahara occidental par le Maroc, en l’échange d’accords diplomatiques, économiques et militaires avec les pays impérialistes qui cherchent à consolider leurs liens avec la monarchie.
Déjà en février dernier, le chef de la diplomatie française Stéphane Séjourné s’était déplacé à Rabat pour affirmer son soutien au projet d’autonomie du Sahara occidental sous souveraineté marocaine. Il cherchait notamment à réchauffer des relations diplomatiques fragilisées par le durcissement des conditions d’obtention des visas en France pour les ressortissants du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie et le refus de Rabat de recevoir l’aide de la France lors du tremblement de terre qui avait touché le Haut Atlas en fin 2023.
Cette position s’explique par le fait que le Maroc est devenu un allié clé des puissances impérialistes dans la région, à la fois à l’avant-garde de la normalisation des relations diplomatiques des pays arabes avec Israël et se présentant comme un allié essentiel en matière de contrôle des flux migratoires et de transports d’énergies fossiles depuis la région vers le nord. Macron rejoint Donald Trump et Pedro Sanchez qui sont parvenus l’un après l’autre à s’accorder avec la monarchie. Pour Trump, il s’agissait de soutenir la colonisation du Sahara Occidental en échange d’accords diplomatiques de normalisation entre le Maroc et Israël. L’Etat Espagnol a quant à lui opté pour un accord de reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental en échange de l’externalisation et de contrôle des flux migratoires par la monarchie.
De son côté, l’impérialisme français voit dans le Maroc un levier important en matière diplomatique, industrielle et politique. Avant Emmanuel Macron, François Hollande avait à plusieurs reprises montré son intérêt pour l’investissement des entreprises françaises au Maroc et au Sahara occidental, avec la complicité du régime marocain. Macron va encore plus loin, et ce dans un contexte où l’impérialisme français a connu des bévues importantes dans toute la région du Sahel. En effet, l’impérialisme français souhaite se positionner comme un acteur incontournable du contrôle des corridors économiques qui traversent la Méditerranée vers l’Afrique occidentale.
Avec cette lettre officielle, Macron enterre donc le statu quo incarné par l’accord signé entre le Front Polisario (Sahara Occidental) et la monarchie marocaine en 1991, sous l’égide de l’ONU, qui devait permettre la mise en place d’un référendum d’autodétermination. Stéphane Sejourné a confirmé la position, en affirmant que « le présent et l’avenir du Sahara s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine, le président de la République Emmanuel Macron a défini le cap ». Une façon d’exprimer le soutien de l’Etat français au plan de souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental, qui consistera notamment à la mise en place d’une prétendue « autonomie » des Sahraouis. En effet, le Maroc souhaite proposer la mise en place d’organes législatifs, exécutifs et judiciaires propres à la future province du Sahara Occidental, tout en promettant que la rente obtenue par l’exportation des matières premières présentes dans la région permettrait de financer ces institutions. Une proposition qui masque mal le fait que le Maroc pourrait disposer de la compétence exclusive en matière de souveraineté, de compétences constitutionnelles, de sécurité nationale et de défense de l’intégrité du territoire national, tout en définissant le corps électoral qui serait convoqué pour le référendum d’autodétermination demandé par les Nations Unies, et qui est au centre des tensions entre le Front Polisario et la monarchie.
Le Maroc fanfaronne, l’Algérie rappelle son ambassadeur
Du côté du Maroc, un potentiel accord vers une souveraineté marocaine définitive sur le Sahara Occidental constituerait une victoire diplomatique historique pour la monarchie, qui a fait du contrôle de la région l’enjeu central de ses relations internationales depuis plusieurs décennies et qui cherche à obtenir des mesures populaires, alors que la normalisation de ses rapports avec Israël fait tâche pour une partie importante de la population. Le contrôle des matières premières du Sahara Occidental et des routes commerciales dans la région sont des éléments essentiels de l’affirmation du Maroc, qui souhaiterait se consolider comme une puissance régionale de premier rang et un interlocuteur incontournable des intérêts des puissances impérialistes. Ce mardi soir, plusieurs représentants centraux de la Macronie s’étaient réunis à l’ambassade du Maroc pour célébrer les vingt-cinq ans de règne de Mohammed VI.
Comme l’explique Camélia Echchihab sur Mediapart : « en avril, le ministre du commerce extérieur démissionnaire, Franck Riester, avait évoqué des opportunités économiques lors d’une visite au Maroc. Il avait ouvert la porte à des investissements de l’Agence française de développement (AFD) dans le Sahara occidental. Selon le journal Le Monde, Emmanuel Bonne, conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron, a déjà pris soin de recevoir les présidents de plusieurs grands groupes français implantés au Maroc pour leur faire part de la nouvelle position française. » Comme on le voit, l’impérialisme français mène une politique de plus en plus ouvertement réactionnaire au fur et à mesure que son influence et puissance reculent en Afrique et au niveau international. Le gouvernement de Macron a ainsi très rapidement « oublié » le scandale Pegasus (logiciel d’espionnage israélien utilisé par le Maroc pour espionner Macron lui-même) afin de ne pas mettre en péril ses intérêts et ses relations avec ce « pays pivot » dans la région.
De son côté, l’Algérie a retiré son ambassadeur de Paris. En tant qu’allié historique du Front Polisario, l’Algérie a ses propres raisons de soutenir les indépendantistes sahraouis. Comme le rappelait Philippe Alcoy dans nos colonnes : « Il y a évidemment une tradition politique de soutien du FLN aux mouvements de libération nationale. C’est d’ailleurs dans ce cadre que l’Algérie traditionnellement et officiellement soutient le peuple palestinien. Ces questions ne sont pas purement symboliques mais ont des implications politiques étant donné que la population algérienne est très attachée à ces causes. Mais il existe d’autres raisons qui expliquent l’intérêt algérien pour le Sahara Occidental, notamment des intérêts économiques, l’exploitation des richesses minières et probablement offrir une sortie directe dans l’Océan Atlantique pour les exportations algériennes. »
L’Algérie, qui a conquis une place essentielle en matière énergétique pour l’Europe du fait de la guerre en Ukraine, pourrait chercher à s’appuyer sur cette question pour défendre ses intérêts au Sahara Occidental. Pour autant, le régime algérien n’est en aucun cas une force progressiste dans ce conflit qui vise avant tout à défendre ses intérêts diplomatiques et commerciaux, dans un contexte de tensions profondément réactionnaires entre le Maroc et l’Algérie. La décision de l’impérialisme français pourrait signifier une nouvelle escalade des tensions entre les deux pays, dont les relations se sont profondément dégradées ces dernières années.
Une boussole : le soutien à l’autodétermination des peuples
Au moment de sa publication, la lettre de Macron a généré des débats à gauche, notamment au sein de LFI. Sur Twitter/X, la députée LFI Farida Amrani a notamment réagi en saluant « la décision du Président de la République qui conforte la souveraineté du Maroc ». Un message chauvin et pro-colonialiste regrettant au passage que la décision « se fasse si tardivement et après des années de détérioration des relations des deux pays ». Si le tweet a été supprimé face au tollé, il est révélateur des ambiguïtés de LFI sur le sujet. Lors de son déplacement à Rabat en octobre 2023, Jean-Luc Mélenchon avait affiché son soutien au plan d’autonomie proposé par Rabat aujourd’hui défendu par Séjourné, considérant les positions du Maroc comme « intéressantes », et se plaçant de fait du côté de l’impérialisme français et de la monarchie marocaine contre l’autodétermination du peuple sahraoui.
Un tel chauvinisme, indissociable de la défense par LFI des intérêts de l’impérialisme français, n’a rien à voir avec les intérêts des travailleurs et des classes populaires en France, au Maroc ou au Sahara occidental. Au contraire, il alimente les préjugés et les tendances réactionnaires, instillées par les capitalistes, au sein du prolétariat. Contre la politique profondément réactionnaire de l’impérialisme français et du régime monarchique marocain, et sans la moindre illusion dans le régime algérien, il est fondamental de défendre le droit à l’autodétermination de tous les peuples, et notamment sahraoui ou palestinien, bafoués par les impérialistes et leurs relais locaux dans la région.
Comme nous l’écrivions en 2020 dans nos colonnes lors des discussions entre la monarchie et Donald Trump, « le peuple marocain a exprimé à plusieurs reprises son soutien à la cause palestinienne, contrairement à son gouvernement réactionnaire qui légitime la colonisation sioniste. Il n’a pas intérêt à suivre la politique nationaliste de ce même gouvernement au Sahara occidental. Quant aux travailleurs en France, et vu les liens avec le prolétariat du Maghreb, il est de notre devoir de nous opposer à tous les plans impérialistes dans la région et exprimer notre plus grand soutien à la lutte pour l’auto-détermination palestinienne et sahraouie. »