Sahara occidental : ce que change (et ne change pas) le nouveau rapport du Secrétaire général – Par Victoria G. Corera

Sahara occidental : ce que change (et ne change pas) le nouveau rapport du Secrétaire général – Par Victoria G. Corera

Victoria G. Corera – Plateforme « N’oublie pas le Sahara Occidental »

Le 30 septembre 2025, le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a présenté son rapport annuel sur la situation au Sahara occidental (S/2025/612), en application de la résolution 2756 (2024) du Conseil de sécurité. Ce document, qui servira de base au débat et au vote prévus le 31 octobre à New York sur le renouvellement du mandat de la MINURSO, dresse un tableau contrasté : stagnation politique, tensions militaires persistantes et urgence humanitaire croissante dans les camps de réfugiés de Tindouf. Mais il introduit aussi des nuances nouvelles dans le langage onusien, que Rabat et le Front POLISARIO interprètent chacun comme un signal à leur avantage.

Résumé exécuteur

Le nouveau rapport du Secrétaire général sur le Sahara occidental confirme trois lignes de force :

  1. la centralité du cadre onusien et de l’autodétermination comme paramètre de licéité de toute solution ;
  2. un climat sécuritaire dégradé mais contenu, avec des hostilités de basse intensité (roquettes près de Mahbès/Smara, frappes de drones à l’est du mur, incidents près d’installations de la MINURSO) ;
  3. une pression politique exogène (États-Unis, certains États européens) pour requalifier l’« autonomie marocaine » en horizon de règlement — pression que le rapport n’endosse pas, tout en prenant acte des prises de position publiques.

Sous la prose mesurée des Nations unies, plusieurs nouveautés/rappels pèsent juridiquement : mention explicite des arrêts de la CJUE du 4 octobre 2024 (défaut de consentement du peuple sahraoui, statut « séparé et distinct » du territoire) ; signalement des restrictions persistantes imposées aux opérations de la MINURSO (plaques d’immatriculation marocaines, interdiction des vols hélico à l’est depuis 2020, limitations de mouvement) ; et recommandation de prolonger le mandat, en soulignant que la Mission demeure souvent la seule source impartiale d’information sur le terrain. Le Secrétaire général appelle à un cessez-le-feu complet, à la levée des entraves opérationnelles et à une reprise de pourparlers « justes, durables et mutuellement acceptables » qui prévoient l’autodétermination.

Ce qui est véritablement nouveau par rapport aux rapports antérieurs

1) Effets juridiques rappelés côté UE

La référence explicite aux arrêts de la Cour de justice de l’UE (4.10.2024) est plus qu’un décor : elle ancre, dans un document onusien, une jurisprudence selon laquelle les accords UE–Maroc ne peuvent s’appliquer au Sahara occidental sans le consentement du peuple sahraoui. En clair : le droit international et le droit de l’UE convergent ici sur le critère du consentement, ce qui fragilise toutes les tentatives de « normalisation économique » du statu quo.

2) Lignes politiques des capitales occidentales

Le rapport prend acte (sans les valider) des annonces américaines d’avril 2025 assimilant l’« autonomie » au seul cadre de négociation, ainsi que du virage britannique de juin 2025 jugeant la proposition marocaine « la plus crédible et pragmatique ». Le texte maintient la neutralité normative de l’ONU : l’Organisation ne s’aligne pas sur ces préférences, elle rappelle le standard – autodétermination effective – et le canal – processus onusien.

3) Dégradations opérationnelles et humanitaires mieux documentées

Le rapport détaille :

  • tirs de roquettes près d’installations civiles et à proximité d’une base de la MINURSO (Smara) ;
  • frappes de drones à l’est du mur (victimes civiles signalées, destructions de véhicules) ;
  • nouvelle route Smara–Mauritanie à l’ouest du mur (question d’effets unilatéraux sur le statu quo) ;
  • entraves à la MINURSO : pas de vols hélico à l’est depuis 2020, limitations de patrouilles, plaques « marocaines » imposées aux véhicules onusiens à l’ouest ;
  • financement en baisse et situation alimentaire/nutritionnelle critique dans les camps (dépendance accrue, indicateurs SMART au-dessus des seuils de l’OMS).

Tout cela resserre le lien entre la protection du mandat de la MINURSO et la prévention d’une escalade.

Lecture juridique : continuités et points d’appui

  1. Autodétermination non négociable. La formule « solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui prévoit l’autodétermination » est réaffirmée. Elle n’est pas cosmétique : elle constitue la condition de licéité en droit onusien. Une « autonomie » ne saurait donc être l’horizon substitutif ; elle ne peut exister qu’comme modalité éventuellement choisie par le peuple sahraoui dans un processus d’autodétermination.
  2. Effet des arrêts CJUE. En intégrant les décisions de 2024, le rapport conforte le standard du consentement (peuple sahraoui ≠ population installée). Cela affaiblit les thèses qui prétendent « présumer » un consentement à partir de bénéfices économiques indistincts ou d’évaluations conjointes non indépendantes.
  3. Statut du territoire. Le rappel transversal (UE et ONU) du statut séparé et distinct du Sahara occidental dissuade, juridiquement, toute tentation de « normaliser » l’annexion de facto par le biais d’infrastructures ou d’événements étatiques.
  4. Mandat MINURSO. En soulignant que la Mission est « souvent la seule source impartiale » d’information, le SG ancre une justification juridique et pratique à sa prolongation et à la levée des entraves (liberté de mouvement, vols de reconnaissance, neutralité visible des dispositifs). Toute tentative de démantèlement ou d’affaiblissement du mandat serait contraire au besoin de protection et au rôle dévolu par le Conseil.

Lecture politique : la bataille des cadres narratifs

  • Washington/Londres/Paris poussent une grammaire d’“autonomie” comme « solution la plus viable ». Le rapport évite soigneusement de l’endosser et repose la question à l’endroit : autonomie par consentement versus autonomie par substitution.
  • Rabat cherche à cristalliser l’irréversibilité (routes, manifestations officielles, recensements). L’ONU rappelle que les actes unilatéraux n’emportent ni transfert de souveraineté, ni modification du statut.
  • Le Frente POLISARIO se replace dans la disposition à négocier, propose une actualisation et rappelle l’offre historique (référendum avec options). Le rapport entérine ce point : la porte des pourparlers est ouverte mais un cessez-le-feu plein et la levée des entraves sont nécessaires.
  • Alger/Nouakchott : positions reconduites (soutien à l’autodétermination / neutralité positive), avec un accent sur la stabilité régionale. Le SG insiste sur le rôle des voisins sans les requalifier en « parties ».

Pourquoi ce rapport compte maintenant

  1. Au Conseil : il rebâtit un socle minimal commun (cessez-le-feu, liberté d’action de la MINURSO, format onusien) à l’heure où certains États souhaitent contracter le mandat ou requalifier la dispute par un langage d’« autonomie seule ».
  2. Pour l’UE et le Royaume-Uni : il complique toute tentative d’alignement normatif sur la ligne « autonomie = solution » sans garde-fous sur l’autodétermination et sans consentement.
  3. Sur le terrain : il documente des faits (drones, roquettes, proximité d’installations onusiennes) qui justifient plus d’accès, plus de neutralité visible et plus de moyens — pas moins.

Points de vigilance (prochains mois)

  • Rédaction de la résolution : toute dilution de la clause « qui prévoit l’autodétermination » ou tout « couplage » asymétrique (autonomie marocaine + calendrier resserré) serait une rupture normative.
  • Liberté de mouvement MINURSO : levée des interdictions de vols à l’est, fin des plaques « marocaines » à l’ouest ; visibilité de la neutralité onusienne.
  • Droit de l’UE : suites données par la Commission/Conseil/PE aux arrêts CJUE (étiquetage, consentement, contrôle indépendant des bénéfices).
  • Humanitaire : financement des plans de réponse 2026–2027, sécurité alimentaire, nutrition infantile, santé maternelle — la détérioration crée un risque d’embrasement social.
  • Sécurité régionale : effets de débordement au Sahel et en Mauritanie si la zone tampon est reconfigurée de facto.

Conclusion

Ce rapport ne bascule pas la doctrine des Nations unies ; il la réassure. En miroir des offensives diplomatiques pour faire de « l’autonomie » un destin, il restitue la hiérarchie juridique : l’autonomie n’est pas l’alternative à l’autodétermination ; elle n’est licite que comme expression éventuelle de celle-ci.

Politiquement, le message est clair : cessez-le-feu complet, MINURSO pleinement opérationnelle, et retour à une négociation qui ne préjuge pas du statut. Juridiquement, il consolide le critère du consentement et le statut distinct du territoire, ce qui verrouille la légalité des « solutions » imposées.

Si l’on veut éviter que la « stabilisation » ne devienne une normalisation de l’illégalité, il faudra protéger la Mission, financer l’humanitaire et recentrer le langage diplomatique sur ce que le droit exige : une autodétermination réelle, vérifiable, librement consentie.

Victoria G. Corera – Plateforme « N’oublie pas le Sahara Occidental »