Quelle lecture peut-on faire de la présence de Yacine El Mansouri, patron des services du renseignement et du contre-espionnage marocains, dans les bagages de son ministre délégué aux Affaires étrangères, Nacer Bourita, arrivé vendredi dernier à Alger porteur d’un message au président Bouteflika ?
Est-ce pour rencontrer Bachir Tartag, le coordinateur des services de sécurité, et discuter des nombreux problèmes liés notamment aux tonnes de cannabis qui transitent par la frontière ouest ou débattre des centaines de «combattants» marocains enrôlés dans les rangs de Daech, qui font de l’Algérie un pays de passage pour aller renforcer les rangs des terroristes en Libye ? Autant de questions d’ordre sécuritaire qui intéressent les responsables des services des deux pays, au point de miner leurs relations bilatérales et plomber leur coopération. Mais à en croire des sources bien informées, ces questions n’étaient pas à l’ordre du jour de cette rencontre.
En quelques heures seulement, celle-ci a pris fin avec la remise d’un message du roi Mohammed VI au président de la République. Leur souhait de voir le président Bouteflika et lui remettre en main propre la lettre du roi n’a pas été exaucé. Une audience leur a été accordée par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, en présence de Bachir Tartag, qui chapeaute les services de renseignement, de sécurité intérieure et de contre-espionnage.
Nos interlocuteurs n’hésitent pas à faire le lien entre cette visite et «la campagne menée récemment par le Maroc auprès de pays africains pour qu’ils soutiennent son retour à l’Union africaine et pour l’exclusion du Polisario. Pourtant, le Maroc sait que le statut de cette organisation continentale, auquel il dénie le droit d’interférer dans la question du Sahara occidental à l’Onu, ne permet aucune adhésion sous condition. Comment peut-il croire un instant que les membres de l’UA puissent accepter une telle condition ?»
En fait, cette démarche n’a pas été démentie. Bien au contraire. Dans une déclaration au journal Esharq El Awsat, Salaheddine Mezouar, le chef de la diplomatie marocaine, à l’issue d’une tournée qui l’a mené dans plusieurs Etats africains, avait affirmé : «Des pays amis africains et musulmans ont appelé le Maroc à réintégrer l’Union africaine (…). Le Maroc doit répondre à ces appels lorsque les conditions sont réunies.» Dans ce cas et sachant que l’Union africaine n’accepte pas d’adhésion avec condition, peut-on croire que le Maroc soit prêt à aller à l’encontre de sa doctrine diplomatique qui consiste à rejeter toute idée d’un Etat sahraoui et encore moins à siéger à ses côtés au sein d’une quelconque organisation ? Nos interlocuteurs sont unanimes à écarter un tel scénario.
Pour eux, il s’agit là d’une simple «agitation politique» destinée à la consommation «interne», notamment après l’échec cuisant essuyé par le palais royal dans la gestion de la crise avec la Minurso, qui s’est terminée par l’expulsion de cette mission des territoires occupés. Une décision condamnée par le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, qui avait fait l’objet d’une violente campagne médiatique marocaine dès son retour des camps de réfugiés sahraouis à Tindouf. Sous la pression de ses partenaires, le Maroc a même fini par accepter le retour des membres de la mission onusienne, dont une partie est déjà sur place.
A en croire nos sources, la visite du ministre délégué aux Affaires étrangères, avec dans ses bagages le patron des services du contre-espionnage, Yassine El Mansouri, est tout de même énigmatique, sachant qu’entre les deux pays, trop de contentieux minent les relations bilatérales et toute discussion entre les responsables des services de sécurité passe obligatoirement par un assainissement politique préalable. Ce qui, à ce jour, n’a pas eu lieu.
Mieux encore, le message que le ministre délégué aux Affaires étrangères destinait au président de la République, il était censé avoir la certitude de le lui remettre en main propre et en présence du patron du Renseignement. Ce qui n’a pas été fait. Yassine El Mansouri n’a pas rencontré le président Bouteflika, lui qui avait été reçu il y a quelques semaines seulement par certains chefs d’Etats africains, lors de la tournée de son ministre des Affaires étrangères.
Salima Tlemçani
a través de Une visite et des interrogations – Actualité – El Watan